Ecrire

Lorsque j’étais enfant et que l’on me demandait ce que je voudrais faire plus tard, je répondais invariablement, du plus loin que je m’en souvienne: « Ecrire ».
Je rêvais de pouvoir passer mes journées à noircir des feuilles de papiers, si possible sur l’imposant bureau en bois laissé par mon père.
Parmi les adultes qui m’entouraient, la plupart me regardaient d’un air entendu et disaient, sur un ton pincé: « Oui, bon. Beaucoup d’appelés et peu d’élus. Il faudrait peut-être arrêter de rêver. Sois plutôt secrétaire, tu es au moins sûre d’avoir du travail. »

Les gens qui brisent les rêves d’un enfant mériteraient d’être pendus par les oreilles à un baobab. Comme ceux-ci sont rares en Suisse, je suis au moins sûre que personne ne prendra ma sanction au pied de la lettre.
Seulement voilà, déjà à l’époque, je ne voulais pas laisser les autres décider de ma vie.
Je voulais être scribe, scribe égyptien si possible.
Et de préférence scribe égyptien libre, sans patron.
Comme, pour des questions de détails, c’était difficilement possible, je me suis dit que ce n’était pas grave. Que j’allais commencer à scribouiller et que je verrais bien ce qui se passerait.
Et j’ai écrit, écrit, écrit… sans presque jamais m’arrêter. Des contes, des poèmes, des chansons, des textes, des nouvelles…
Mes rédactions et mes dissertations étaient souvent choisies pour représenter l’école dans les concours interscolaires.
Et j’étais ravie de les voir heureux quand nous revenions avec le premier prix.

Je n’ai pas cherché à être journaliste. C’est le journalisme qui est venu me chercher.
J’ai suivi les études, passé le diplôme en question parce qu’on me l’a demandé. Je voulais juste écrire… encore et toujours. Au fil des 25 ans passés dans ce milieu, j’ai découvert le pouvoir d’une plume, la force d’un mot, la technique d’une phrase. J’ai découvert que l’écriture la plus belle n’est rien sans vie, sans sentiments, sans émotion, sans honnêteté. Que la dimension d’un texte ne se résume pas, et de loin, à un exercice de style. J’ai découvert qu’écrire est un art difficile, très difficile.
Mon stylo m’a permis de rencontrer des centaines de gens, des plus célèbres aux plus discrets. A chaque fois un univers…

Ecrire m’est vital. Quand je n’écris plus, ceux qui me connaissent et tiennent à moi savent qu’il se passe quelque chose de très grave, que mon équilibre est en jeu.
Cette année, pendant plusieurs mois, je n’en ai plus eu le goût. Brisée.

Avant cela, j’avais achevé un livre qui est sorti en août, assumé le journal dont je suis responsable.

Et j’ai terminé un deuxième livre qui n’attend que mon feu vert, aujourd’hui, pour paraître.
Feu vert que, après certains événements de ces dernières semaines, je pense désormais donner.

Enfant, je ne me projetais pas dans l’avenir.
Je n’avais pas d’avenir, m’expliquaient certains adultes bien intentionnés ou parfaitement idiots, à choix.
Je n’imaginais pas qu’un jour viendrait où je vivrais de ma plume, où l’on viendrait me solliciter, en plus de mes articles, pour écrire des livres.
De vrais livres…

Aujourd’hui, plusieurs nouveaux projets gravitent autour de moi.
Ce matin, une nouvelle demande m’a été adressée, sur un sujet qui me charme. Et ce alors que j’entre dans la phase de mise en forme et de fin d’écriture d’un autre ouvrage.
A chaque fois, l’aventure est à la fois différente et sensiblement identique.
Il y a l’excitation et l’émerveillement à l’idée de découvrir un nouveau monde, de se lancer dans une autre aventure humaine.
Et puis il y a l’aspect de l’immersion dans la documentation, des archives, le plus souvent passionnant.

Il faut trouver un  rythme pour le texte, saisir un ton adapté, choisir un style.
Presque à chaque fois, aux trois quarts du travail, arrive un moment de spleen.
Où il est nécessaire de retrouver un second souffle pour que, à la lecture, ce passage à vide ne se ressente pas.
Et enfin, lorsque le point final est posé, vient l’autre moment, celui des doutes, de la peur, des interrogations.
Est-il bon, ai-je bien travaillé, aurais-je pu faire mieux, va-t-il plaire?
En général, là, j’ai  du mal à me séparer de ce texte sur lequel j’ai passé des mois.
Je ne suis jamais satisfaite. Je n’ai pas envie de le voir partir.
Mais lorsqu’il me quitte, lorsque je l’envoie chez l’imprimeur, je tourne la page.
Il vit sa vie, je n’y pense plus, je vais presque jusqu’à oublier son contenu pour me concentrer sur le suivant.
Je suis ailleurs.

En sept livres dont tous ont connu un destin différent, j’ai connu deux fois la malhonnêteté de certains co-auteurs, de certains éditeurs.
La très belle aventure de la rédaction doit être tentée avec des êtres de confiance pour ne pas être abîmée.
J’ai aussi vécu de grandes émotions.
Mais ce que je préfère et préférerai toujours reste le long tête-à-tête entre l’ordinateur et moi, le moment précieux de la conception…

Et puis, en marge de ce monde qui reste mon monde professionnel, il y a mon secret.
« Mon » livre, celui sur lequel je ne me penche que lorsque j’ai un peu de temps, c’est-à-dire pratiquement jamais depuis des mois et des mois.
Un projet qui n’est pas une commande, et dont très peu de personnes connaissent l’existence.
Une aventure dans un registre totalement différent qui est pour moi un espace de liberté muselé par les impératifs historiques, mais où je rentre dans la vie de personnages fascinants ayant existés, que je fais vivre, parler, évoluer…
Libre, entièrement libre…
L’écriture pure.

Martine Bernier

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