Le mouton

Je n’ai plus accès à un sommeil normal depuis trois ou quatre ans.
Même aujourd’hui, lorsque Celui qui partage mon existence est là, je me réveille au moins trois ou quatre fois par nuit et vaque à des occupations nocturnes silencieuses pour ne pas le réveiller.
Lorsqu’il est absent, le scénario est plus compliqué encore.
Mes nuits sont presque aussi actives que mes jours.

Ce qui rend Pomme très perplexe.
Mon Mogwaï me suit partout, même la nuit.
Sa tête hirsute émerge de son panier dès qu’elle me sent bouger.
Sa frimousse pleine de poils, où l’on devine ses deux yeux noirs semblables à des billes de verre, se tourne vers moi.
Elle bâille, s’étire, dort debout, mais me suit dans mon bureau où elle se recouche près de moi pour repartir dans la chambre lorsque j’y retourne.

Me sentant coupable du rythme chaotique que je lui impose sans le vouloir vraiment, je la gâte pour me faire pardonner.
Lundi, alors que je partageais avec l’un de mes fils et sa compagne l’un de nos moments privilégiés ou nous passons des heures à discuter et à rire, j’ai décidé d’acheter un nouveau jouet à mon méritant bichon havanais.
Elle a beau en avoir un panier entier, elle adore les nouveaux arrivés.
Mon choix s’est porté sur un petit mouton en peluche qui crie lorsqu’on lui pousse sur le ventre.

Dès qu’elle l’a reçu, Pomme l’a adopté.
Attrapant le pauvre mouton par la patte, elle lui a fait faire le tour de l’appartement en galopant, s’arrêtant de temps en temps pour le jeter en l’air, le rattraper au passage et lui faire subir toute une gamme de tortures raffinées.
Le soir, le mouton raplapla a eu les honneurs du panier de la chambre à coucher, traîné de pièce en pièce durant la nuit à chaque fois que Pomme me suivait dans mon bureau.

Au matin, après une nuit particulièrement agitée pour Pomme, le mouton et moi, mon Mogwaï a émis le souhait d’emmener son caprin en promenade vivifiante.
Lorsqu’elle décide d’emporter un trésor avec elle, rien ne peut la faire changer d’avis.
Elle se poste à côté de la porte, les mâchoires solidement refermées sur sa proie, et attend que je lui mette sa laisse.
L’heure n’était pas à la discussion: je l’ai laissée faire.
Dehors, elle trottinait fièrement, bien droite, tenant son jouet entre les dents, lorsque, à l’entrée du pré, elle a aperçu un chien inconnu.

Un chien inconnu dans SON pré!
Profanation!

D’un naturel très sociable, Pomme aime jouer avec ses congénères.
Elle a donc posé le mouton à mes pieds et a filé vers le nouveau copain canin à la race indéfinissable.
Celui-ci, remuant doucement la queue, ne devait plus avoir l’âge de s’adonner à ce genre de galipettes.
Il l’a flairée avec complaisance, puis s’est dirigé vers moi, a accepté mes caresses et… a vu le mouton.

O joie, ô bonheur!
Il s’est rué sur le jouet et a décidé qu’il allait l’adopter.
C’en était trop pour Pomme.
Déjà vexée d’avoir été snobée, elle m’a regardée, indignée.

SON mouton dans la gueule de cet intrus!!!
C’en était trop.

Le personnage, vautré dans l’herbe, tenait le mouton entre les pattes et tentait de lui faire un sort.
J’ai vu mon Mogwaï si doux s’avancer vers lui, prendre délicatement une patte du mouton dans sa gueule et tirer.
Surpris, le visiteur a résisté.
Et là… exaspération ou fatigue de la nuit?
Je ne sais pas.
Toujours est-il que Pomme a regardé le chapardeur droit dans les yeux et, de sa petite voix, a poussé un « OUAF » magistral.
Ahuri, son interlocuteur, qui était au moins trois fois plus grand qu’elle, a lâché la peluche et a reculé, penaud.

Pomme s’est baissée, a repris son bien, m’a regardée l’air de dire: « Bon, on rentre? », et a dignement pris le chemin du retour.

Il faudrait voir à ne pas exagérer, quand même!
Pomme, mais pas poire!
Non mais!

Martine Bernier

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