"Dis-moi ce qu'il lisait… je te dirai qui il était"

Assez rapidement après la mort de mon père, j’ai commencé à récolter tout ce que je pouvais trouver comme indices m’indiquant quelle était sa personnalité, quels étaient ses goûts…
Plus son souvenir s’estompait dans ma mémoire, plus j’en avais besoin.
La première chose que vous perdez d’un être qui vous quitte, c’est sa voix.
Lorsque son souvenir s’efface, l’absence est plus lourde.
Il faut la compenser.

Ma stratégie de  recherche se concentrait sur deux endroits: un tiroir qui lui était réservé, et la bibliothèque où il rangeait ses livres et ses disques.
Il y avait relativement  peu de livres dans la maison avant qu’ils ne commencent à envahir ma chambre de bibliovore précoce. 
Une seule bibliothèque encastrée dans un mur du salon, avec une centaine de volumes.
Méthodiquement je les ai tous lus en cachette: Le Roman de Tristan et Iseult, ceux de Jules Verne, Stendhal, Hugo, Maeterlinck, Flaubert, Simenon,  Mauriac, Bazin…
Il aimait les classiques: c’est par eux que j’ai commencé, en les lisant sous mes couvertures, ma mère estimant que ces lectures n’étaient pas adaptées à mon âge.
Elle n’avait sans doute pas tort: je devais avoir 11 ou 12 ans à l’époque. 

Et puis, une nuit, alors que je remettais discrètement un volume à sa place, j’ai découvert plusieurs livres en assez mauvais état qui m’ont attirée.
Ils étaient signés A.-J. Cronin.
Mon père avait rarement plus de deux ouvrages du même auteur.
Là, il y en avait une petite série, ce qui m’a laissé penser qu’il devait l’apprécier.
J’ai donc commencé à lire le fameux Cronin.
La Citadelle, le Destin de Robert Shannon, les Vertes Années, le Chapelier et son Château, Les Clés du Royaume…
J’ai adoré son écriture, ses histoires.
Au point de filer acheter toute la collection au magasin de livres d’occasion où je les obtenais pour quelques francs gagnés en lavant des voitures ou en époussetant l’appartement de ma grand-mère.

Archibald Joseph Cronin…
Avec un prénom pareil, il ne pouvait que me plaire. 
Je me suis très vite documentée sur lui.
A l’époque, Internet ne nous apportait pas les informations toutes cuites. 

Il a fallu chercher, je me suis donc rendue à la bibliothèque pour en savoir plus.
J’ai découvert qu’il était Ecossais, surdoué, médecin des pauvres puis médecin des riches, que sa vie a été  une source d’inspiration pour lui dans la création de certains de ses personnages.
J’ai tout lu de lui.
A chaque livre terminé, j’avais l’impression de me rapprocher de mon père.
Nous avions un goût commun, cela m’était précieux.

Les livres de Cronin sont toujours dans ma bibliothèque.
Je pense les relire lorsque j’aurai un peu plus de temps.
Je les possède en format de poche, plus frais que ceux achetés à l’époque.
Mais je n’ai jamais jeté les volumes de mon père, très marqués par le temps.
Et si je relis ces livres, ce sont ceux-là que je reprendrai.

Martine Bernier

 

 

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