Le livre d'Histoire

Au cycle secondaire, chaque année, je me rendais avant la rentrée de septembre dans l’immense réfectoire scolaire où se déroulait la Bourse aux livres de classe.
Je ne m’attardais pas devant les livres neufs, qui m’étaient inaccessibles financièrement.
Je me dirigeais vers le secteur des occasions et ressortais avec le paquet de livres qui allaient m’accompagner au fil de l’année scolaire.
Parfois, en fonction des utilisateurs qui m’avaient précédée, les ouvrages étaient en très bon état.
D’autres fois, ils faisaient peine à voir, griffonnés, délabrés… pas franchement motivants.
Cette année-là, en rentrant chez moi, j’ai découvert un livre dont le dos avait été complètement arraché, laissant apparaître une reliure déglinguée.

En regardant le titre, j’ai eu très mal au coeur.
Il s’agissait de mon livre d’Histoire et s’appelait: « L’Antiquité Rome et les débuts du Moyen Âge, de Maurice Michaux, Raymond Loonbeek et Jacques Mortiau.
Je ne le savais pas encore, mais dès l’instant où je l’ai feuilleté la première fois, j’ai eu pour ce bouquin un coup de foudre absolu.
La reprise des cours n’avait pas encore eu lieu que je l’avais lu entièrement.
Le sujet m’intéressait et j’adorais la façon dont il avait été conçu. 
Des textes courts, tirés d’archives, des explications claires, des images à mes yeux fascinantes…
Je découvrais pour la première fois les Étrusques, l’art des anciennes civilisations, leur mode de vie, leur économie…
Au fil de l’année scolaire, il est devenu mon compagnon.

L’été suivant, je devais retourner à la Bourse aux Livres et revendre mes ouvrages pour pouvoir racheter les suivants.
Mes livres de math, de physique, de chimie et autres formaient une pile plus petite que celles de mes camarades du secteur « occasions ».
Je tenais dans mes mains deux bouquins que j’avais retirés de mon « tas ».
La religieuse intendante m’a regardée, perplexe:

– Pourquoi n’as-tu pas mis ces deux livres avec les autres?
– Parce que je voudrais les garder.
Elle a pris les deux livres, a lu leurs titres:
–  Français et Histoire… Bon, tu peux les garder, si tu veux, mais tu devras payer les livres que tu reprends pour l’an prochain… Tu auras assez?
J’avais compté et recompté mes sous: oui, j’avais assez.

J’ai repris le chemin de la maison avec, sous le bras, la pile des nouveaux arrivés, et, posés au-dessus de la pile, mes livres rescapés.
Ils ne m’ont plus quittée depuis.
Mon livre d’Histoire est à côté de moi tandis que j’écris ces lignes.
Il date de 1970, se trouve toujours sur Internet.
Je lui dois des heures d’étude et de découvertes.
Voyons, est-ce normal de considérer un vieux livre comme un très ancien copain d’école??

Martine Bernier

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