Les tapis de Mme Steinier

Ma grand-mère maternelle avait une amie: Mme Steinier.
Cette dame imposante et majestueuse  habitait une maison qui ressemblait à un château.
Je n’ai compris qu’assez tard qu’il s’agissait d’une maison de retraite pour personnes âgées aisées.
Une année, à la veille des vacances, la décision semble avoir été prise d’un commun accord avec ma grand-mère: celle-ci allait passer 15 jours chez Mme Steinier pour ne pas rester seule durant notre absence.
La famille au grand complet a donc été la mener dans sa demeure provisoire, entourée de pelouses bien entretenues et d’un jardin ombragé par de grands arbres.
Avant que ma grand-mère ne découvre ses appartements, Mme Steinier nous a reçus dans les siens, vastes et remplis d’objets de toute sortes.
En nous y accueillant, elle n’a eu qu’un mot:
– Merci d’éviter de marcher sur les tapis.

Arf.
Des tapis, il y en avait absolument partout.
De beaux tapis persans,  mousseux,des plus grands aux plus petits, aux couleurs chatoyantes.
Des tapis orgueilleux qui semblaient nous narguer en nous disant: « Vas-y, si tu a le malheur de poser ton pied sur moi, je crie! »
En désespoir de cause, je regardais en l’air pour trouver des lianes éventuelles.
Je cherchais comment faisaient les adultes pour éviter les écueils douillets.

L’épreuve de cette visite périlleuse terminée, la maîtresse des lieux nous a présenté les appartements de ma grand-mère.
Une chambre immense, des meubles anciens et raffinés, des murs couverts de frises.
La salle à manger était du même acabit.
La demeure de Mme Steinier ressemblait à un musée.
Elle nous a présenté quelques pensionnaires, et nous avons installé notre précieuse aïeule, qui, à l’époque, devait avoir 78 ou 79 ans.
Les personnes qui se trouvaient au château à ce moment-là étaient en bonne forme, jouaient aux cartes, souriaient, et ont accueilli la nouvelle arrivée avec gentillesse.
Ma grand-mère était visiblement l’aînée du groupe.
Mes parents pouvaient partir le coeur tranquille: ici, elle serait bien.

A notre retour, nous avons tourné le même film, à l’envers.
Embrassades, bouclement des valises, et passage obligé  chez Mme Steinier pour un petit débriefing.
Nous avons retrouvé les tapis, les tasses aux anses dorées posées sur des plateaux en argent.
La question incontournable a évidemment fusé, posée par ma mère:

– Alors, maman, tu as fait un beau séjour?
Et ma grand-mère a répondu:

– Oui, oui, c’est joli. Mais il n’y a que des vieux, ici.

Martine Bernier

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