Les dessous de « Méditerranée »…

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Léonard et Pierre Gianadda (Photo: Léonard Gianadda)

 

Lorsque nous nous étions parlé la dernière fois, par téléphone, Léonard Gianadda m’avait demandé si j’avais vu  l’exposition actuelle  de la Fondation, exposition que j’avais présentée dans le magazine « Générations Plus ».
La sienne.
Je lui ai répondu que j’avais vu plusieurs photos mais que nous voulions passer la découvrir en période de Noël, mon Capitaine et moi.
Il m’avait demandé quand nous envisagions notre visite.
J’ai avancé la date du 26 décembre, précisant l’heure sur sa demande.
Il m’avait dit avoir noté.
Pour la première fois, nous avions parlé d’Ecriplume.
Et je lui avais confié que, sur ce blog sans prétention, je parlais souvent de lui, de sa Fondation.
Juste pour le plaisir.

Hier après-midi, alors que nous prenions la route de Martigny, je me disais que, en cette période de Noël, il aurait sans doute bien d’autres choses à faire que de venir à ce rendez-vous…
A l’entrée, lorsque je me suis présentée, nous avons eu la surprise de découvrir que ma visite était bel et bien attendue.
J’ai pu voir une présentation de la prochaine exposition en 3D, puis, comme notre hôte ne semblait pas encore là, nous avons refait un premier tour de l’étage des lieux, étage que j’ai déjà visité des dizaines de fois sans jamais m’en lasser.
Lorsque nous sommes descendus, un employé nous a dit que Monsieur Gianadda nous attendait au Foyer.
Nous nous y sommes rendus, un peu confus de l’avoir fait attendre… et nous avons vécu un magnifique moment.

L’exposition actuelle, je l’ai présentée en choisissant chaque mot.
« Méditerranée » propose les photos prises par Léonard Gianadda lors d’un voyage de quatre mois effectué avec son frère Pierre en 1960.
Tous deux s’étaient embarqués à bord d’une VW Coccinelle pour sillonner les routes de ces pays baignés de soleil et d’Histoire.
Il me l’avait déjà dit par téléphone, me l’a redit aujourd’hui: au départ, il cherchait une exposition « bouche-trou » pour occuper le temps et l’espace entre celle consacrée à Modigliani et la prochaine qui sera élaborée avec le British Museum.

Cette exposition n’a rien d’un bouche-trou… il a fini par en convenir lorsqu’il a découvert son travail  magnifiquement mis en valeur par Jean-Henry Papilloud et Sophia Cantinotti.
Après l’avoir visitée avec soin, j’ai envie de dire qu’elle est susceptible de toucher un public très large car elle peut être perçue sous plusieurs axes différents: l’aspect historique, l’aspect relatant le parcours professionnel de Léonard Gianadda, et  celui beaucoup plus personnel nous révélant une facette intime de sa vie.
Alors qu’il était jeune  journaliste reporter, il a réalisé des images pétries de sensibilité, de pudeur et, pour certaines, d’humour.
Nous en avions déjà vu une partie au cours d’expositions précédentes.
Le monde a beaucoup évolué depuis l’époque de ce voyage, le sang et les larmes ont coulé dans certains des pays traversés.
La guerre, la violence, les difficultés économiques et le terrorisme sont passés par là depuis.
Ces images sont celles d’une époque révolue, d’un temps où deux jeunes Suisses pouvaient escalader l’une des pyramides de Gizeh sans que personne ne s’en offusque, sans doute parce que  les touristes n’avaient pas encore envahi les sites historiques.
Sites aujourd’hui bien protégés, que les deux frères ont pu découvrir dans des conditions de proximité exceptionnelles.
Avant de débuter la visite, nous avons commencé par visionner le film en 8 mm tourné par Léonard Gianadda durant son voyage.
Il l’a commenté lors de l’une des premières diffusions, et c’est ce commentaire qui accompagne aujourd’hui les images.
Le coeur de l’exposition se trouve là…
Des images joyeuses des deux frères, visiblement heureux de partager cette aventure.
Leur complicité crève l’écran, les contacts qu’ils ont tissés avec les populations rencontrées touchent et font sourire…
Je me suis longtemps demandé qui était Pierre, ce frère tant aimé à la mémoire duquel a été créée la Fondation.
Là, il prenait vie devant nous…
J’imagine l’émotion de son fils lorsqu’il a vu ces images, l’émotion de celui qui les a tournées, en les redécouvrant 50 ans après…

L’exposition est passionnante, nous entraîne dans un voyage d’une richesse folle.
L’oeil du photographe est celui d’un jeune homme plein de tact, talentueux, tendre  et espiègle. 
Il capte l’instant fragile, les regards, les sourires, les gestes du quotidien, la beauté des êtres et des lieux…
Et…. ah, que j’ai aimé ces photos inattendues  où il prend en premier plan la tête d’un âne ou d’un cheval devant des sites magistraux!

La visite commence par quelques photos de sa famille, de son grand-père Baptiste, de ses proches, de ceux qui ont compté pour lui,  parmi lesquels son épouse, Annette qui, toujours, est présente d’une manière ou d’une autre à la Fondation dont elle reste l’une des belles âmes.
Ce lieu est né de lui, soutenu par celle qui a su croire en son projet…

Monsieur Gianadda nous a consacré un long moment avant de nous laisser visiter l’exposition seuls.
Ce n’est pas un homme narcissique.
Il savait que je n’étais pas là pour écrire un article autre que celui que j’écris sur Ecriplume en ce moment.
En découvrant cette exposition, j’ai mieux compris le lien profond qui le liait à son frère.
Il nous a confié que tous ses frères et soeurs sont aujourd’hui partis.
Et ce ne sont pas des mots qu’il prononce avec indifférence.
Cet entretien, je ne l’oublierai pas.

Je le dis souvent: il fallait un homme d’une force et d’une ténacité exceptionnelles pour arriver à créer ce qu’il a créé.
A chaque exposition, quand je vois s’aligner les oeuvres des plus grands peintres,  des plus grands sculpteurs, je suis époustouflée.
Le tour de force qui consiste à faire venir à Martigny ces toiles et ces statues dépasse l’entendement.
Elles arrivent du monde entier, de collections privées ou de grands musées.
Et pour réussir  cela, il faut avoir établi un puissant lien de confiance, avoir construit une réputation de sérieux et de professionnalisme inattaquable.
Je lui ai demandé ce qui le poussait à faire ce qu’il fait.
Il m’a dit qu’il ne savait plus trop… 
Puis regardant mon Capitaine, il lui a demandé s’il était italien, estimant « qu’il a une tête d’Italien ».
Ce qui, dans sa bouche, est clairement un compliment!
Tout deux ont eu un échange explicatif à ce sujet.
Et il a conclu en disant: « Il faut être italien pour être assez fou pour faire cela! »

Dans la conversation, il a demandé un catalogue à l’une de ses employées.
Il a pris mon stylo, a ouvert le livre et me l’a dédicacé.
Je le fréquente ponctuellement depuis longtemps, mais jamais je n’aurais osé lui demander une dédicace.
Quand je l’ai vu écrire, cela a été un tel moment d’émotion pour moi que j’en ai eu les larmes aux yeux… et que je n’ai pas su le  cacher.
J’étais là dans un instant qui dépassait le cadre professionnel.
J’étais face à l’une des personnes pour lesquelles j’ai le plus d’admiration et de reconnaissance.
Avant qu’il ne nous emmène découvrir la « chambre noire » dans laquelle il a installé les trois statues antiques découvertes voici quelques mois à Martigny, je lui ai demandé s’il avait vu Ecriplume.
J’avais presque honte de lui poser la question: mon blog, ce bout de rien, face à Léonard Gianadda!
Tssst!
Il m’a expliqué qu’il n’avait pas d’ordinateur, qu’il n’allait pas sur Internet.
Et, pour témoigner de son aversion pour ce genre de choses, m’a montré son téléphone, qui n’a rien à voir avec un gadget dernier cri.
Je me suis dit qu’il avait bien d’autres priorités que de surfer sur Internet et qu’il avait bien raison.
Et là… il a ouvert un dossier de sa mallette et en a tiré une liasse de documents.
« Je n’ai pas d’ordinateur, mais… j’ai lu vos textes! »
Il s’était fait imprimer tous les textes d’Ecriplume parlant de la Fondation.
Moquez-vous de moi si vous le voulez… mais ça a été important, à mes yeux.
Dans ma vie, deux lieux  m’ont permis de grandir, à deux époques de mon existence, dans deux contextes différents: il y a fort longtemps, la Maison d’Erasme, à Anderlecht (Belgique), et depuis plus de vingt ans, la Fondation Gianadda.
Des endroits où j’ai grandi, évolué, appris, où je me suis enrichie, où j’ai énormément réfléchi, pensé, où j’ai vécu et où je vis toujours de grands moments de bonheur pur.
Je sais que j’écrirai encore souvent  des articles qui, si Dieu le veut, seront publiés, à propos de la Fondation.
Il était essentiel pour moi que Monsieur Gianadda sache que ces textes, je ne les écris jamais par devoir.
Je lui ai demandé s’il me permettait de continuer à parler de lui et de la Fondation sur Ecriplume, sachant qu’il ne s’agit pas d’articles « à la sauce journalistique » mais plutôt de notes intimes, de moments de vie, d’émotions.
Il a accepté en souriant…
C’était pour moi infiniment important.

Au moment de nous quitter, il nous a entraînés vers les pièces où, d’habitude, nous retrouvons les oeuvres permanentes de la Fondation.
Cette fois, tout avait changé…
Les trois statues dont je viens de parler étaient là, sobrement installées dans cette pièce transformée en écrin noir.
Une mise en scène parfaite pour des oeuvres revenues d’un lointain passé…
Après chaque exposition, nous a expliqué le maître des lieux, les murs sont repeints.
En ce moment, la chaude couleur bordeau rappelle les teintes de la Méditerranée.
Lorsque les oeuvres du British Museum feront leur entrée, les chaises installées dans le Temple, coeur des lieux, disparaîtront pour laisser la place à des vitrines.
Raison pour laquelle la saison musicale devra s’interrompre au début de cette future exposition pour ne reprendre qu’en été, avec l’apparition des tableaux de Renoir.

En nous invitant au prochain concert, Monsieur Gianadda nous a dit:
– Ce sera un très beau concert. Vous n’oublierez pas? 

Oublier???
Mais… Comment?
Jamais!

Nous sommes ressortis par les jardins, comment nous le faisons d’habitude.
Il pleuvait.
Aucune importance, nous étions reconnaissants de ce que nous venions de vivre.
Si vous en avez l’occasion, n’hésitez pas, allez voir cette exposition: elle vous fera du bien.
Dans la petite salle où est projeté le film privé, un homme s’est exclamé, hier: « Quelle épopée!! »
Il a raison, c’est une aventure.

Martine Bernier

L’exposition « Méditerranée »  est à visiter jusqu’au 9 février 2014 à la Fondation Gianadda de Martigny, tous les jours de 10 à 18 heures.
Site de la Fondation Pierre Gianadda

 

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