Mon Jiminy Cricket et le regard des vaches

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Quand j’étais enfant, un cinéma de notre quartier diffusait de temps en temps les longs métrages de Walt Disney.
Mon père me lisait souvent l’histoire de Pinocchio.
Un jour, il décida de m’emmener voir le film.
Ce dessin animé m’a beaucoup marquée et a été le point de départ de longues conversations.
Parmi tous les personnages, il en était un qui me fascinait beaucoup plus que les autres: Jiminy Cricket.
Toutes les erreurs de jugement que pouvait faire le pantin de bois auraient pu être évitées s’il avait écouté ce grillon bienveillant… qui avait toutes les peines du monde à maintenir son protégé dans le droit chemin.
En sortant du cinéma, mille questions se bousculaient dans ma tête.
Papa savait que lorsque j’avais besoin de lui parler pour « mettre de l’ordre dans ma tête », il était important de me consacrer du temps.
Dans ces moments-là, il s’arrangeait toujours pour se retrouver en tête-à-tête avec moi.
Je pense qu’il a fait la même chose avec chacun de ses trois enfants…
Ce jour-là, en rentrant, main dans la main, nous avons longuement parlé.258px-595154-jiminy1_super
Parfois, nous nous arrêtions en pleine rue et il s’accroupissait devant moi afin d’être à ma hauteur pour m’expliquer ce qui n’était pas clair pour moi.
Ce jour était important: je venais de découvrir l’existence de « la conscience ».
Voici, en gros, la conversation qui a suivi…

– Moi aussi, je voudrais un Jiminy Cricket qui me préviendrait avant que je fasse une bêtise…

Des bêtises, j’en faisais beaucoup…
Il aurait eu un travail énorme avec ma petite personne!

– Mais tu en as un!

Je l’ai regardé en me demandant de quoi il parlait.
Il a enchaîné:
– Tu sais très bien ce qui est bien et ce qui est mal. Ton Jiminy, il est quelque part dans ta tête.
– Je ne le vois pas…
– Pourtant, il est bien là. Tu entends sûrement sa petite voix qui te dit: « Attention, ne fais pas cela! »
– Il n’a pas très bien  réussi avec Pinocchio…
– C’est vrai qu’il a eu du mal… mais il a fini par y arriver!

Trois pas… et une question.
– Dis?
– Oui?
– C’est vrai que, si on ne va pas à l’école, on risque d’être transformé en âne? Et puis, d’abord, je ne trouve pas que c’est bête, moi, un âne!

Question importante, il était urgent de s’arrêter et de me répondre yeux dans les yeux:
– A l’école, tu apprends une foule de choses. Mais tu apprends aussi en dehors de l’école, dans les livres, en visitant tout ce que tu peux visiter, en écoutant parler les gens, en allant au spectacle. L’école te fait gagner du temps: les maîtres et les maîtresses t’apportent une montagne de choses à découvrir, que tu ne pourrais pas apprendre sans eux. Alors oui, c’est très important. Personne n’a jamais été changé en âne pour de bon. Mais ceux qui n’apprennent rien finissent par avoir un cerveau qui  ressemble à un coin de désert. Plus rien n’y pousse. Il faut apprendre pour être bien dans ta tête.
– Parce qu’on s’ennuie si on ne sait rien?
– Je crois oui. Je sais que tu aimes bien les ânes et que tu ne les trouves pas bêtes. On va prendre un autre exemple! Tu as déjà vu les vaches qui regardent passer les trains?  Un jour, nous irons voir leurs yeux de plus près. Elles sont gentilles, mais il n’y a rien dans leur regard. Comme un grand vide…  Elles n’ont pas de chance, elles ne peuvent pas faire autrement. On ne leur a pas donné un cerveau capable d’apprendre. Chez les gens, le grand vide peut être rempli par une foule de choses. 
– Et si on ne le remplit pas?
– Alors on laisse trop de place dans la tête… et la bêtise vient y planter sa tente. Ce n’est pas une bonne invitée. Surtout si elle vient avec ses amis: la méchanceté, la violence et les autres.
– Alors dans ma tête, c’est comme un grand cinéma avec beaucoup de fauteuils?  Pour que les mauvais invités ne viennent pas, il faut que toutes les places  soient déjà occupées?
– Voilà! Dès que tu vois un siège libre tu files apprendre quelque chose de nouveau!

Nous étions sur la même longueur d’ondes, tous les deux.
Il a fallu quelques années pour que je comprenne que mon Jiminy Cricket, c’était lui.
A sa façon, il m’a insufflé une manière de voir les choses que j’ai essayé de transmettre à mes enfants et, aujourd’hui, à mes petits-enfants.
Très souvent, lorsque je suis seule dans mon bureau ou au salon, je l’imagine à côté de moi, fumant sa pipe.
Je continue à entretenir avec lui un dialogue muet.
Je sais quand il me désapprouve et quand il me soutient.
Parfois, quand je laisse « trop de fauteuils libres », je deviens incapable de savoir ce qu’il me dirait… et c’est là, en général, que je m’égare.
Bien au-delà de la simple relation père-fille, il m’a servi de guide.

A propos… 
A chaque fois que je croise une vache, je ne peux m’empêcher d’observer son regard.
Allez savoir pourquoi, j’ai une grande tendresse pour ces bovidés dont le destin n’est vraiment pas très enviable…

Martine Bernier

 

 

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