Hugues Aufray: « J’ai plus de temps, mais il passe plus vite! »

 

Hugues Aufray et le buste de Bob Dylan qu'il sculpté. (photo Martine Bernier)
Hugues Aufray et le buste de Bob Dylan qu’il sculpté. (photo Martine Bernier)

Au printemps de cette année, j’ai profité d’une semaine de vacances passées avec mon Capitaine pour programmer trois rendez-vous débouchant tous les trois sur des articles destinés au magazine suisse  « Générations plus ».
Si j’étais ravie de ces trois reportages, l’un d’entre eux me touchait particulièrement: une nouvelle rencontre avec Hugues Aufray, qui avait accepté de nous recevoir chez lui.
Ce n’était ni notre première rencontre, ni la première fois que le voyais chez lui, près de Paris.
Mais à chaque fois, c’est un grand bonheur.
Nous sommes restés ensemble plus de 4 heures.
4 heures riches en confidences…
J’en ai tiré cet article.
Il a accepté que je prenne quelques photos de lui et de ses oeuvres, et a accordé un dernier cadeau aux lecteurs du magazine en enregistrant une petite vidéo leur laissant un message.
Le lien se trouve sous l’interview.
Et voici l’article, paru dans le numéro d’octobre 2014 de Générations Plus. 

«J’ai plus de temps aujourd’hui… mais il passe plus vite!»
Près de soixante ans après ses débuts, Hugues Aufray vogue toujours sur le Santiano, continue à consoler Céline et à nous attendrir sur le sort du Petit âne gris.
Seuls ses cheveux blancs et quelques rides au coin des yeux témoignent du passage des ans sur cet élégant amoureux des mots, à la philosophie teintée d’humanisme. Silhouette juvénile et regard bleu, Hugues Aufray a un emploi du temps bien rempli, qui l’entraîne largement au-delà des frontières de l’Hexagone.
Il ouvre pourtant les portes de sa maison, près de Paris, avec cette chaleur humaine et cette disponibilité qui lui sont propres.
Ici, dans cette demeure, il se ressource entre deux voyages, deux concerts.
Chantre de la nature, de l’amour et de l’amitié, il occupe une place particulière dans le cœur du public.
Et pour cause: il ressemble aux textes qu’il interprète. Il avoue s’enrichir chaque jour de ses lectures, du contact avec les autres, partage ses découvertes et accepte de parler de lui sans fard. Il en plaisante d’ailleurs, confiant au passage que l’on a souvent dit de lui qu’il était naïf.
«J’ai regardé la définition du mot dans le dictionnaire et j’ai lu que cela veut dire naturel. Dans ce cas, je le revendique: je suis un naïf!»
Généreux, curieux et dynamique, ce fringuant octogénaire qui paraît 25 ans de moins que son âge, chante depuis près de soixante ans.
Il a écrit entre 350 et 400 chansons, donné des concerts partout dans le monde, s’adonne à la peinture, à la sculpture, a récemment tenu un petit rôle au cinéma dans le film Avis de Mistral, avec Jean Reno…
Aujourd’hui, il est resté le même homme que celui qu’il était lorsque, en 1959, Eddy Barclay lui a permis d’enregistrer son premier disque.
Il assume sa sensibilité et a appris à vivre avec les blessures infligées par la vie.
Il a toutes les raisons d’être fier de son parcours.
Désormais, des écoles portent son nom.
Une belle revanche pour lui qui fut un petit garçon dyslexique, et qui se sert de sa propre expérience pour encourager les enfants qui connaissent la même difficulté.
– Hugues Aufray, vous allez fêter vos 85 ans le 18 août prochain. Quels sont les bienfaits liés à l’âge, selon vous?
Ils sont énormes. Moi qui ai manqué de temps toute ma vie, j’ai la chance d’avoir des insomnies. Les gens âgés s’en plaignent, et prennent des somnifères qui les rendent malades. Et moi… je lis et j’apprends beaucoup. Mais même si je vivais encore cent ans, je n’arriverais jamais à lire tout ce que je voudrais… Aucun roman: je préfère les chiffres, la science. J’aime beaucoup la phrase de Léonard de Vinci: «Qui méconnaît la suprême certitude des mathématiques se repaît de confusion.» Pour moi, il faut avoir lu Montaigne, Shakespeare, Cervantès, et éventuellement Pascal. C’est une bonne base. Je suis un enfant de Montaigne, toujours en train de me poser des questions, et je suis branché à fond dans la physique quantique. J’ai plus de temps pour apprendre, mais il passe plus vite. Quand vous avez moins l’espoir d’avoir des années devant vous, tout s’accélère. Et je me dis qu’il faut que je me dépêche!

– Le mot retraite a-t-il un sens, pour vous?
Aucun! J’ai toujours la même envie de chanter, ce n’est jamais lassant pour moi. Je donne beaucoup de concerts, je vis grâce à la musique. Je n’ai jamais eu un sou à la banque, jamais une action. Je n’ai pas brûlé ce que j’ai gagné, mais je me suis fait voler plusieurs fois. Donc, je chante, et avec bonheur! Là, je m’apprête à partir pour l’Azerbaïdjan, puis pour Cuba. Je travaille pour maintenir mon patrimoine qui est constitué de cette maison (près de Paris) et de ma ferme dans le Midi. Je l’ai léguée à mes enfants, en leur disant que je souhaite qu’elle reste le berceau de la famille, au moins sur deux ou trois générations, quoiqu’il arrive. J’ai la chance d’avoir atteint un âge où l’on peut envisager la mort d’une façon très sereine, à condition de ne pas laisser du désordre qui encombrerait les consciences. Je voudrais ne pas laisser de traces négatives, de choses inachevées. Mon objectif a toujours été d’épargner à ceux que j’aime le mauvais côté de la médaille.

– Le temps semble avoir peu de prise sur vous. Vous avez un truc?
Pas de truc, non, pas de drogue, ni de dopant! Mais j’ai intégré des notions simples: je ne bois pas trop d’alcool, j’ai arrêté de fumer il y a longtemps, mais de temps en temps, je m’offre un cigare, j’ai une vie saine et je prends des compléments alimentaires. Je suis arrivé à un âge où la mort ne me fait pas peur… mais autant rester en bonne santé, si c’est possible!

– Vous êtes très proche de vos petits-enfants?
Même s’ils sont loin géographiquement, oui… Comment pourrait-on ne pas l’être? Joséphine est à l’Université de Los Angeles. L’une de mes filles est en Floride avec son mari et son fils. Mon autre fille vit ici, avec moi avec l’une de mes petites-filles, tandis que l’autre est en Irlande. Elie, mon petit-fils, travaille à Paris avec son père dans la post-production cinématographique. Je suis arrière-grand-père depuis quelques mois. Mon arrière-petite-fille s’appelle Zemphira. Elle est merveilleuse… La méchante rime avec famille, c’est «éparpille». C’est le propre même de la famille… s’en aller.

– Nous vous connaissons tous comme chanteur. Pourtant ce n’est pas votre premier talent?
C’est vrai. Mon frère, Francesco, qui avait une voix magnifique, était destiné à devenir un grand chanteur d’opéra. Et moi, je voulais être peintre et sculpteur. En 1955, mon frère s’est suicidé. Ça a été un coup terrible… Mon autre frère, Jean-Paul, disait de nous qu’il était le Grand Meaulnes et moi le Petit Prince. Pour me permettre de me reprendre, quelqu’un m’a conseillé de suivre des cours de chant avec une femme merveilleuse qui m’a aidé à devenir chanteur professionnel. A la place de mon frère… J’ai été happé par la vie, par mon métier. Ma force (ou ma faiblesse) est que j’enfouis mes regrets au fond de moi et que je n’en parle pas. J’ai une grande admiration pour Aristide Maillol. Le jour de mes 70 ans, j’ai rencontré son dernier modèle, Dina Vierny, à qui j’ai confié que je rêvais d’être sculpteur quand j’étais jeune. Elle m’a dit: «Il n’est pas trop tard». Et j’ai commencé. Ma première sculpture, je l’avais réalisée en 1947. J’ai reproduit le visage de mon premier amour. Elle avait 14 ans. Puis, je n’ai plus touché à la terre. J’ai donc repris bien plus tard et j’ai modelé la tête de personnages qui n’ont pas posé pour moi: Van Gogh, Dylan, Gauguin, Bonnard, Rimbaud… Ils ont été exposés au Musée Maillol, à Banyuls, l’année passée. J’en suis au début, mais j’espère avoir assez d’années devant moi pour faire quelque chose de digne et honorable.

– Comment se comporte le public avec vous?
Avec gentillesse. Pour moi, l’important a toujours été de faire le plus de bien possible à un maximum de personnes… ou le moins de mal possible au plus grand nombre. C’est vrai que l’on me demande souvent de signer des autographes, on m’aborde. Mais les gens sont rarement irrespectueux. La notoriété n’est pas dérangeante pour moi.

– Aujourd’hui, quels artistes vous touchent?
Mes goûts sont multiples: j’écoute de la musique classique, Bach, Chopin et Ravel, mais je suis sensible à toute sorte d’autres genres. Le folklore, par exemple, est rempli de talents inconnus. J’ai une tendresse particulière pour Renaud, et je suis émerveillé par les chanteurs actuels. Je pense notamment à Stromae.

– Etes-vous aussi macho que vous l’avez proclamé dans Voilà mes conditions?
(Rires) Pour moi, un macho, c’est un homme qui refuse de faire la vaisselle… à l’eau froide! J’ai toujours fait strictement ce que ma femme voulait!

– Dans une émission de Mireille Dumas, en mai dernier, vous avez révélé l’existence de Murielle, l’autre femme de votre vie. Aime-t-on différemment, la maturité venue?
Oui et non. Je suis raisonnable. J’ai 84 ans, elle est beaucoup plus jeune que moi. Si j’avais vraiment la certitude qu’elle rencontre un garçon qui la rende plus heureuse que moi, je la laisserais partir. Notez qu’à 25 ans, je ne pense pas que j’aurais vu mon épouse s’en aller avec un autre avec plaisir! Je ne surexpose pas ma vie privée, mais je ne la cache pas non plus. Il fallait que je parle de Murielle, pour lui donner le droit d’exister à mes côtés. Si je ne l’avais pas fait, elle en aurait beaucoup souffert. Mais je suis quelqu’un qui n’abandonne pas après avoir aimé. Je ne comprends pas que l’on puisse adorer sa femme et la détester ensuite. Mais avec le temps, les choses évoluent… Donc, je suis toujours marié, mais Murielle fait partie de ma vie. Et je pense que si elle est à côté de moi, je pourrai aborder avec elle cette période de mon existence dans laquelle la sculpture tiendra, je l’espère, une place importante.

– Aujourd’hui, avez-vous des regrets?
Ah, si j’avais autant d’argent en banque que j’ai de regrets, je serais riche! Oui, bien sûr… Il y a des tas de choses que j’ai fait que je ne referais pas. J’éviterais de faire souffrir inconsciemment comme j’ai pu le faire parfois. Mais surtout, je regrette de ne pas avoir compris que mon frère était dans une grande solitude. Je regrette aussi que les gens n’aient pas saisi le message de certaines de mes chansons. Comme dans Le Lion et la gazelle, qui parlait du racisme. Beaucoup de bonnes chansons n’ont pas eu le destin qu’elles auraient mérité.

– Et avez-vous des projets?
Plusieurs, oui. Je prépare un disque qui sera, j’en suis certain, magnifique… Il est trop tôt pour en parler, mais il devrait être dans les bacs pour Noël. Je suis également censé écrire un livre. J’ai commencé, mais je manque de temps et je suis très lent! Et puis, il y a la sculpture…

Martine Bernier

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