Michel Boujenah: Toute la chaleur du Sud…

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Il a le regard bleu comme les eaux de la Méditerranée qu’il aime tant. Mais, surtout, il a cette sensibilité à fleur de peau qui fait de lui un écorché vif, atteint par les douleurs du monde. Rencontre avec un homme déraciné dont l’humour tendre et décapant, cohabite avec des failles et des douleurs avec lesquelles il apprend à vivre jour après jour. Un bel humain qu’il est difficile de regarder autrement qu’avec tendresse.

– Vos premiers souvenirs d’enfant, vous les avez à Tunis, où vous êtes né…
Oui, je me souviens du parfum du jasmin, de l’odeur de la peinture bleue utilisée pour repeindre les volets et les portes. Il fallait les repeindre souvent, au bord de la mer… Je me souviens aussi des beignets que j’allais chercher, le matin, avant que mon père ne parte travailler. Il était médecin et je ne le voyais que rarement.
– Enfant, vous avez été très malade…

J’avais une décalcification des deux épaules. J’ai dû me faire opérer plusieurs fois. J’étais réellement malade, mais je pense que quelque chose en moi s’arrangeait de cette maladie qui me permettait d’attirer sur moi l’intérêt de mon père.
– Comment avez-vous vécu votre arrivée en France, lorsque vous aviez 11 ans?
Très mal. Quand je vois ce qui se passe en Afrique, j’ai honte de le dire: après tout, nous n’étions pas à la rue. Mais il n’y a pas de hiérarchie dans la douleur. J’étais déraciné. Avec ma famille, nous nous retrouvions à vivre à six dans un appartement de deux pièces. J’étais très triste, en révolte totale contre tout cela. Comme j’étais Arabe de confession juive, ce n’était pas facile. J’ai connu le racisme, j’en ai beaucoup souffert.
– Quand les choses ont-elles commencé à s’améliorer?
Au bout de deux ans, j’ai eu un professeur de math qui portait presque le même nom que moi. Il était gentil avec moi, et je me suis senti un peu mieux. Mais je continuais à dire “eux” lorsque je parlais des Français… Je ne me sentais pas chez moi, pas intégré.
– Puis est venu le temps où vous avez revendiqué vos racines…
Oui. J’ai commencé à faire du théâtre. Vers 24 ans, j’ai décidé d’assumer ce que j’étais, et j’ai fait vivre des personnages à travers mes propres spectacles. Je me suis senti beaucoup mieux!
– Depuis trente ans, le public vous suit. Quelle relation avez-vous avec lui?

Mon rôle est de faire rire. Je vis dans le présent de la représentation avec les personnes venues me voir, et je donne beaucoup d’amour, de tendresse. Mais j’en reçois aussi énormémement. Les applaudissements, à la fin d’un spectacle, c’est toujours un moment profondément émouvant.
– Quel a été votre plus beau souvenir professionnel?
Le jour où j’ai joué la première représentation de mon premier spectacle “Albert”, en Tunisie. Et la dernière, à l’Olympia de mon autre spectacle, “Les Magnifiques”. Dans les deux cas, c’étaient des moments très forts…
– Avez-vous un regret?

Oui.. mais vous n’allez pas me croire! Je regrette de ne pas avoir été plus loin dans la pratique du tennis. J’étais très bon, mais mes problèmes de santé m’ont empêché de poursuivre. Je regrette aussi de ne pas avoir été pédopsychiatre. Et, surtout, je regrette le temps qui passe… J’aimerais que les journées comptent au minimum 92 heures!
– Vous avez un appartement à Paris, vous retournez souvent en Tunisie où vous êtes chez vous, mais, en France, votre coin de paradis se trouve à St Paul-de-Vence.
Je déteste Paris, les villes en général. J’ai besoin du calme de la campagne, j’adore la mer. Même la Manche, tiens, pourvu que ce soit la mer!
Le sud de la France me fait un bien fou. Je m’y sens beaucoup plus libre. Je retrouve mes marques: j’y fais la sieste, je vais pêcher en mer avec mes amis. Notez que je ne pêche que ce que je mange: le reste, je le remets à l’eau! J’aime ces heures passées entre copains, j’aime ma cuisine, là-bas. C’est la pièce maîtresse de la maison, elle a une âme, décorée avec les tableaux de mes enfants. Nous y passons tout notre temps. J’aime les arbres. Quand je suis arrivé là-bas, il n’y avait qu’un olivier et un figuier couché. J’ai planté tout le reste. Y compris le jasmin, pour retrouver le parfum de l’enfance.
– Vous préparez en ce moment un nouveau spectacle: “Enfin libre”. De quoi parlera-t-il?
Au bout de trente ans de carrière, j’ai aujourd’hui la liberté de faire ce que je veux. La liberté est une expression luxueuse… Ce spectacle parle des choses qui me préoccupent en ce moment, de la difficulté d’être soi-même. Il parle beaucoup d’amour, de la déchéance, de la pauvreté. Je crois que l’on peut être soi-même tout en regardant le monde, en s’y intéressant.

Propos recueillis par
Martine Bernier (printemps 2008)

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