Alan Stivell : Nous vivons sur une seule terre

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Je l’ai rencontré il y a dix ans, alors qu’il allait donner un concert non loin de la frontière Suisse.
Il m’a accordé un entretien peu avant le concert auquel j’ai ensuite assisté. Une salle surchauffée, des drapeaux bretons, un enthousiasme délirant de la part d’un public heureux de retrouver son barde.
Breton, Alan Stivell l’est dans l’âme. Mais il est aussi et surtout un musicien en perpétuelle évolution, précurseur de la World Music. A l’époque, il sortait son 19e album: « 1 Douar » (En breton: « une seule terre »). Ce disque international, hybride et très mélodique, il l’avait longuement mûri, menant à bien son désir d’aller à l’essentiel en brisant les frontières entre les peuples. Ou du moins entre leurs musiques.
Profondément original dans le paysage musical français, le sage Stivell fait toujours figure de visionnaire. Aujourd’hui, son discours n’a pas changé: chacun de nous possède une richesse qui peut enrichir l’Autre.

– Vous êtes considéré comme l’un des porte-drapeau du peuple breton. C’est un rôle que vous assumez facilement?
Oui et non. C’est une responsabilité double et ambiguë, car je veux conserver ma liberté d’être humain. Je ne suis pas le délégué du peuple breton destiné à le représenter dans le monde. Ils n’ont pas voté pour moi! Mais je suis conscient d’avoir une certaine responsabilité. Même si mon rôle est festif, j’en perçois le sérieux car, à la clef, il y a des racines. Si j’étais superficiel, il existerait un risque de partir dans toutes les directions et de briser le sens de notre démarche.

– Votre album « 1 Douar » semble avoir été, mûrement réfléchi..
C’est exact. Je souhaitais parler d’une seule terre, et en breton. L’Afrique, c’est la terre la plus éloignée du monde celte. Mais il existe des liens entre les peuples. Pour moi, il est important d’aller là où je ne suis pas attendu. Je pense qu’il faut être attaché à ses racines sans le moindre racisme, en ayant une curiosité pour les autres. Entre les extrêmes que sont l’uniformité ou la division, il existe un chemin dans lequel on peut continuer à vivre une richesse culturelle sans frontières.

– Ne pensez-vous pas que votre public a parfois du mal à vous suivre dans votre nouvelle démarche, dans votre nouveau style très éloigné de la musique bretonne traditionnelle?
Mon public suit plus ou moins. A une époque, je me souviens avoir eu moi-même des difficultés à aimer certaines chansons des Beatles.
Il faut se donner le temps de rentrer dans la musique. Au début, on s’étonne, puis on s’habitue. Je suis pris entre l’oeuvre de l’avant-garde et le besoin de communication.
Personnellement, je ne ressens pas le besoin d’individualisme artistique, ni la frustration de communiquer. Je dirais que je fais de l’avant-gardisme modéré.

– Certains vous attribuent la paternité de la World Music…
Sur le plan musical, c’est très exagéré. Sur le concept, je suis plus ou moins d’accord car, dès mon premier album, je partais déjà sur ce principe.

– Dans « 1 Douar », vous chantez notamment la Mémoire de l’Humain. Quels sont les thèmes que vous traitez dans vos chanson… et que l’on ne peut comprendre à moins de parler breton ou d’acheter vos disques sur lesquels figurent les traductions?
Je parle de tout ce qui me touche en tant qu’être humain. La faim dans le monde, la paix, en Irlande, les problèmes politiques, les légendes… Pour moi, il n’y a pas de hiérarchie entre une symphonie celtique ou une chanson paillarde. Je traite tout sur le même plan. Tout fait partie de la vie.

– L’avenir de la Bretagne, comment le voyez-vous?
Il passe par une fédération des pays celtiques. Je pense que le monde celte sera fédéré par l’Europe. Je crois qu’il existera un bureau interceltique où seront traités tous les problèmes des peuples celtes. Les frontières qui séparent ces peuples ont été crées artificiellement sur la Manche. Maintenant, les celtes vont se réunir davantage.

– Vous avez donné plusieurs concerts en Suisse. Ce pays, comment le ressentez-vous?
Quand je pense à la Suisse, je pense « helvétique ». En breton cela pourrait se traduire par « Elever le monde haut ». C’est le souvenir d’un peuple davantage peuple des montagnes, Peut-être ce dernier a-t-il gardé une certaine philosophie telle que celle que l’on trouve au Tibet?
Toujours est-il que le peuple des montagnes est assez proche de celui des îles ou de la mer. Mais il serait démagogique de vous dire que je me sens mieux en Suisse qu’ailleurs. En fait, je me sens chez moi partout…

Martine Bernier

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