Arc et Senans : La Saline de l’Utopie

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La Saline royale d’Arc-et-Senans possède une destinée qu’aucune autre de ses congénères ne peut revendiquer. Modèle architectural unique, elle est aujourd’hui un lieu paisible, bijou architectural très visité.

Si la Saline royale d’Arc et Senans, en Franche-Comté, à une heure de Vallorbe, reçoit chaque année des milliers de visiteurs, ce n’est pas présenter l’extraction du sel, puisqu’elle est n’est plus en activité depuis 1895. Dès le premier regard, l’intérêt du site saute aux yeux. Classée au Patrimoine Mondial de l’UNESCO depuis 1982, la Saline est le chef-d’oeuvre de l’architecte Claude-Nicolas Ledoux .
Grâce aux bâtiments qu’il a imaginés, il doit être possible, estimait-il, de produire annuellement dans l’enceinte de la manufacture soixante mille quintaux de sel. Tout a été prévu à cet effet: les bernes, les étuves, les réservoirs d’eau, les magasins, les canaux, les machines hydrauliques, les bâtiments de graduation, le saumoduc, et les logements des ouvriers. Reste, en cette seconde moitié du XVIIIe siècle, à trouver un site pour implanter les bâtiments.
Celui-ci est choisi entre les hameaux d’Arc et de Senans, dans le Doubs. La mission de cette manufacture sera de transformer les saumures, ces eaux faiblement salées amenées par pipe-line des sources souterraines de Salins, à vingt kilomètres de là, afin d’en extraire du sel. Le bois de la forêt royale de Chaux (22’000 ha) servira à cuire et évaporer la saumure. Quant aux grands axes de circulation, ils permettront de commercer avec la Suisse voisine et la Bourgogne. La manufacture est construite entre 1775 et 1779, dix ans avant la Révolution française. Et l’or blanc obtenu est vendu, en tonneaux ou en pains de sel.
À la Révolution , la Saline devient bien de l’Etat, confié à des régisseurs. Mais les tentatives de développement ne lui assurent pas son avenir. Dépassée par la concurrence des salines de l’Est et par celle des marais salants, elle cesse définitivement son activité en 1895.

Cet arrêt des activités du site construit en demi-lune aurait pu signer son arrêt de mort. Cela n’a pas été le cas. Au contraire. Au fil des siècles, la Saline royale s’est trouvé une nouvelle vocation. Les choses avaient pourtant plutôt mal commencé. Délaissé à la fin du XIXe siècle, le site a subi de nombreux dommages. Le bâtiment central où loge le directeur, point fort de la composition, a supporté des dégradations et n’a pas été reconstruit à l’identique.
En 1918, la foudre détruit entièrement l’intérieur des lieux et, en 1926, un vandale fait sauter les colonnes du portique. Mais la Saline est rachetée en 1926 par le département du Doubs. Aussitôt classée au patrimoine des Monuments Historiques, elle va bénéficier d’importantes restaurations entre 1930 et 1990. Aujourd’hui, le lieu est un bijou architectural.
En 1972 est créée la Fondation Claude-Nicolas Ledoux, devenue depuis un institut. Sur l’initiative de son actuel président, Serge Antoine, une quinzaine d’entreprises publiques et privées s’unissent pour transformer l’ancienne saline en Centre International de réflexion sur le Futur, dont la gestion a été confiée à l’Institut. Ledoux serait heureux. Le lieu est aujourd’hui un Centre Culturel de Rencontre Européen, dont la réflexion principale est axée sur « L’architecture et la cité ». Colloques, séminaires, expositions itinérantes, création: le Centre est un lieu fréquenté par les chercheurs, et propose chaque année un nouveau thème de réflexion. Celui de 2004 sera consacré à « La Lumière/La Couleur », 2005 se penchera sur « La Mobilité et le Nomadisme », tandis que 2006 célébrera le Bicentenaire de la mort de Ledoux ».

Paradis factice (intertitre)

Ledoux avait rêvé d’incorporer la nature à l’architecture de la Saline. Grâce à son génie inventif, il a allié son sens de la géométrie à une nature à la fois sauvage et domestiquée, pour former un tout harmonieux. Chacun des onze bâtiments a été conçu pour être esthétique, admirablement proportionné. Créé pour devenir l’élément d’un « paradis social » placé sous la domination constante du directeur qui, de sa propre habitation, peut tout observer, tout contrôler.
Chacun des employés sera soigné, entouré, rêve Ledoux. L’usine, le potager, les bâtiments, les logements: tout est installé selon les plans de l’architecte, fantasmant sur une ville miniature idéale. Mais le projet est utopique.
À l’époque de l’utilisation de la saline, jusqu’à 250 personnes y ont vécu. Et les explications reçues lors de la visite du site font bien comprendre que la vie sur place n’avait rien d’idéale. Les ouvriers travaillaient dans une fumée épaisse aux vapeurs acides. Une atmosphère corrosive qui apportait son lot de brûlures et de problèmes respiratoires. De plus, une discipline quasi militaire régnait dans l’enceinte de la manufacture, y compris dans les logements attribués aux employés. Ceux-ci ne disposaient d’aucune liberté. De la prière du matin jusqu’à l’extinction des feux, tous obéissaient à des règles sévères, sous le regard omniprésent du directeur. L’architecte idéaliste avait oublié un détail en construisant son œuvre: la place de la liberté individuelle.

Martine Bernier

Horaires
Horaires des visites:
– Janvier, Février, Mars, Novembre, Décembre: 10-12H / 14-17H
– Avril, Mai, Octobre: 9-12H / 14-18H
– Juin, Septembre: 9-18H
– Juillet, Août: 9-19H
Internet: www.salineroyale.com
Tél. 0033 (0)3 81 54 45 45
Fax: +33 (0)3 81 54 45 46
La Saline se trouve entre Besançon et Pontarlier, à une heure de la frontière suisse.
Audioguides ou visites guidées à heure fixe, offertes avec le billet d’entrée au monument
Visites libres des expositions temporaires
Cafétéria ouverte de juin à septembre

L’ARCHITECTE DU ROI

Enfant du siècle des Lumières, Claude-Nicolas Ledoux (1736 – 1806), architecte visionnaire du roi Louis XV, a 37 ans et une solide réputation lorsqu’il dessine les plans de la manufacture. Le travail qu’il accomplit ici est raffiné, d’une symétrie parfaite. Très épris de l’Antiquité, il fera abondamment usage de colonnades et d’arc de triomphe dans les bâtiments qu’il construit. Les Salines royales d’Arc-et-Senans constituent les premiers essais d’urbanisme industriel complet comprendant ateliers, logements, écoles et espace de loisirs. Ledoux a également signé les plans du pavillon de madame du Barry à Louveciennes , des écuries de madame du Barry à Versailles, du château de Bénouville en Normandie , du théâtre de Besançon et de la prison d’Aix-en-Provence.
À la Saline, la Tonnellerie, l’un des pavillons à gauche du bâtiment d’entrée, est entièrement dédiée au musée Ledoux. Y est présentée l’une des plus importantes collections de maquettes d’architecture d’Europe, largement hantée par l’esprit du constructeur des lieux. Soixante maquettes retracent les projets, rêvés ou aboutis, de celui qui fut l’un des architectes les plus prolifiques de son temps.

M.B.

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