Juliette ou l’insupportable démarchage téléphonique

Midi vingt.
Je travaille.
Période intense sur ce point: impossible de m’arrêter entre l’heure du midi si je veux pouvoir partir à temps à mon rendez-vous de fin de journée.
Le téléphone sonne alors que je suis en pleine écriture.
Je réponds et écoute un peu distraitement.

– Bonjour, Madame. Je suis Juliette, de la maison X. Vous êtes bien cliente chez l’opérateur X?
– Oui.
– J’ai le plaisir de vous annoncer, chère Mâdeeeme (NDLR: tiens, je deviens chère…) que vous allez bénéficier de la gratuité sur tous vos appels locaux en Suisse. De plus….

Et blablabla.
Non seulement le message est parfaitement inintéressant voire faux puisque ce merveilleux cadeau fait déjà partie de mon contrat de base, mais, en prime, le ton qu’utilise mon interlocutrice m’agace rapidement.
Elle récite sur un ton mi-chantant mi-professoral, totalement artificiel, d’une voix aux intonations montantes et descendantes, aux accents toniques inattendus, comme un enfant qui déclame fort mal sa poésie.
Visiblement, elle applique ce qu’elle a appris lors de sa formation accélérée.
J’ai à l’autre bout du fil une voix impersonnelle, qui parle non pas à un être humain mais à un pigeon potentiel qui lui vaudra sans doute un bonus ou quelque chose dans le genre si elle arrive à la faire craquer.
Je jette un oeil sur mon écran où mon article n’avance plus, évidemment.
Je laisse parler Juliette, ne l’écoute plus, me disant que je devrais sortir Pomme avant de reprendre le fil de mon texte.
Redescendant sur terre, j’entends la voix me dire, sur le ton qu’elle utiliserait pour s’adresser à un enfant de 5 ans, avec une intonation triomphante:

– Alors, chère Madame, je vous abonne?

Elle aurait été à deux doigts de me dire « Alors… heureuse? » que je n’en aurais pas été étonnée.

– Non, merci.
– Mais??? Vous m’avez écoutée?
– Distraitement, j’avoue. Je suis en plein travail.

Imperceptible soupir de l’autre côté.
– Ce n’est pas grave, je vais vous rappeler.
– C’est gentil, mais non, merci, je ne suis pas intéressée.
– Je crois que vous n’avez pas…

Je sais qu’elle a un rôle à tenir, mais là, je commence à me lasser.

– Bon. Juliette, je peux vous dire quelque chose?
– Oui, bien sûr, chère Mâdeeeme.
– Je ne supporte pas que l’on me parle comme si j’étais débile profonde, et encore moins lorsqu’il s’agit de me placer un contrat dont je n’ai pas l’utilité. De plus, excusez-moi, mais vous entendre m’appeler « chère Mâdeeeme » est très énervant.
– Mêêêêh?
– Je m’explique: vous êtes très certainement une jeune femme charmante, mais quand vous rentrez dans le rôle de celle qui veut convaincre à tout prix en martelant votre message commercial en chantonnant, vous n’êtes absolument pas crédible. Question de ton, vous comprenez? C’est pire que sonner faux: c’est carrément de la caricature.
– Mêêêêêh??
– Là, par contre, dans le « mêêêêh », c’est mieux. Nettement plus humain, cela vous rend carrément sympathique. Sur ce excusez-moi, j’ai du travail. Bonne chance pour vos prochains appels. Bonne journée, chère Juliette!

J’ai raccroché, et ai emmené Pomme s’aérer.
Pauvre Juliette…

Martine Bernier

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