Le plaisir des chaînes à neige ou « Tu vois, on n’est pas partis longtemps! »

La journée de ce samedi avait plutôt bien commencé, à ceci près qu’il neigeait à gros flocons.
Nous devions nous rendre à un rendez-vous, à l’autre bout du canton.
Plusieurs fois, j’avais demandé cette semaine à Celui qui m’accompagne s’il avait équipé sa voiture de pneus d’hiver.
Ses réponses étaient plutôt distraites, vagues.
Ce midi, en découvrant l’épaisse couche de neige qui tenait sur la route, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que je serais plus à l’aise si nous avions ces fameux pneus.
La réponse est partie, vaguement agacée:
– Un pneu est un pneu! Et j’ai des chaînes dans le coffre! Ca va aller.

Trois cents mètres…
Nous avons réussi à parcourir trois cents mètres à peu près, avant d’amorcer un joli dérapage incontrôlé dans la descente.
Arrivés au bas de la route, nous avons convenu que nous allions décommander le rendez-vous et qu’Il allait poser les chaînes pour remonter jusqu’à l’appartement.
Tandis que j’appelais la personne qui nous attendait, je regardais d’un oeil mon Tendre qui, tel un Esquimau garagiste, s’acharnait à remplir sa mission.
Le tout sous l’oeil vaguement amusé des automobilistes qui, eux, avaient équipé leurs voitures, et qui roulaient fièrement sans ralentir.
Sur la banquette arrière, Pomme, debout, la truffe écrasée contre la vitre, contemplait Celui qui m’accompagne en se demandant pourquoi il jouait ainsi dans la neige sans elle.

Premier retour de l’Homme dans la voiture pour l’avancer de quelques centimètres.
Il travaille sans gants alors que la température est sous zéro.
Je compatis:
– Tu dois être gelé…
Son regard me foudroie:
– Non! Je ne suis pas gelé!

Il ressort en grognant et se réattaque à la bête.
Quelques minutes plus tard, il revient pour reculer la voiture.
– Je n’arrive pas à les mettre!
– Ah bon? Pourquoi?
– Comment ça pourquoi? Je n’arrive pas à les mettre, c’est tout!

Et le revoilà dehors, sous une neige qui tombe de plus belle.
Cette fois, pour moi, la situation est grave.
Je sens le fou rire monter.
Or, il serait très, mais alors vraiment très malvenu de rire tandis qu’il se bat contre ces « fichues chaînes », dans un univers polaire.
J’essaie de ne pas penser au sadique qui a inventé ce genre de choses, de faire abstraction de la fureur contenue de mon compagnon qui, bien sûr, dans un quart d’heure, niera avoir été un brin énervé.
Les deux fois où il est revenu dans la voiture, j’ai respiré un grand coup et je n’ai strictement rien dit, m’efforçant de dissimuler mon hilarité.
Enfin, il a fermé la portière et a démarré lentement en bougonnant:
– Ces chaînes! Pas pratiques du tout!
– Heu… tu as vu toutes les voitures qui sont passées sans souci?
– Non. Pas fait attention.
– Dommage… elles sont la preuve vivante de ce que j’essaie de t’expliquer concernant l’utilité des pneus d’hiver en Suisse.
– Mais enfin! Je sais ce qu’est un pneu neige!
– Mais dans ce cas, pourquoi n’en as-tu pas mis sur la voiture?
– Je les ai commandés. Et en France, même quand il neige, je n’en ai pas besoin. Là bas, on dégage les routes!!!

Le fou rire me revient.
Je sens que je ne vais plus pouvoir le contenir.
Il est vrai qu’en Suisse, nous ne déblayons JAMAIS les routes.
C’est bien connu.
Nous nous enfermons dans des igloos souterrains et nous attendons le dégel en mangeant des noisettes et en jouant du cor des Alpes.
Cela ne manque pas: une fois dans l’appartement, je lui avoue que j’ai dû faire un effort surhumain pour ne pas rire dans la voiture devant son irritation et le comique de la situation.
Et là, en une seconde, tout son énervement tombe et son humour revient:
Il rit aussi.
– Comment? Parce qu’en plus, pendant que je me décarcassais, couché dans la neige, tu te payais ma tête???

Non, non…
Je philosophais sur la condition de l’Homme.
Deux minutes plus tard, tandis qu’il déguste un thé à l’orange réconfortant, il murmure, en souriant:
– N’empêche, tu vois… le bon côté de la chose: on n’est pas partis longtemps!

Martine Bernier

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