Les frères Pichard, prisonniers du Château

Pour faire suite à l’article sur le dernier geôlier du château d’Aigle, j’aimerais vous raconter l’histoire des frères Pichard, qui y furent enfermés.
J’ai bien connu l’un d’eux, John dont je tiens cette histoire.
Il était le mari de l’une de mes amies.
Je leur avais consacré un portrait dans mon premier livre…
Une belle aventure qui nous avait beaucoup rapprochés. 

Dans les années 50 – 60, il était facile de se retrouver en cellule au château, à la moindre peccadille.
Raison pour laquelle beaucoup de personnes ayant connu cette époque comptent, dans leur entourage, au moins une à deux connaissances ayant connu la citadelle de l’intérieur, contraintes et forcées.
Histoire de remettre dans le droit chemin les élèves ayant un trop vif penchant pour l’école buissonnière, il n’était pas rare que certains d’entre eux se retrouvent sous clé, un jour ou deux, afin de leur permettre de réfléchir sur les bienfaits de l’Education Nationale.
Parmi les hôtes forcés du château figurent les frères John et François Pichard, d’Ormont-Dessus.
Ceux-ci étaient connus pour être de braves garçons.
Mais ils portaient en eux un trop plein de rancœur dû à une enfance déchirée, les rendant prompts à la bagarre.
C’est à la suite de l’une d’elles qu’ils se retrouvent un jour emprisonnés.
Une discussion un peu trop animée avec une tierce personne a dégénéré.
Pierre et François en sont venus aux poings.
Mais cette fois, leur victime est restée sur le sol.
Placés en cellule, les deux frères, connus pour leurs talents de dessinateurs, occupent leur temps en repensant le décor de la pièce.
François, l’aîné, restera trois semaines dans l’une des geôles de la Tour Carrée du château.
Jusqu’à sa mort, il n’oubliera jamais ce séjour traumatisant dans un lieu sinistre.
Non contentes d’avoir mis sous clés les deux boxeurs du dimanche, certaines bonnes âmes leur font croire que leur victime a succombé à ses blessures.
Pour les frères Pichard, l’angoisse est au paroxysme.
Jusqu’à ce que leur geôlier les rassure en leur expliquant qu’il a rencontré l’homme en question dans les rues de la ville.
Pour un fantôme, il a fort bonne mine.

 John, qui avait une vingtaine d’années au moment des faits, a mieux réussi, par la suite, à relativiser l’aventure.  
Il sera relâché une semaine après son arrestation.
Resté seul, François se procure des crayons.
Lorsqu’il quitte les lieux, les murs sont couverts de dessins.
Si le geôlier, sensible à l’art, a eu mal au cœur de voir partir ses hôtes talentueux, les dessins n’ont pas survécus pour autant.
Ils ont été recouverts d’une couche de badigeon.
Quant à John, bien des années plus tard, il racontait en souriant avoir été « pensionnaire au château »…

Martine Bernier

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