Combien de fois, en regardant les catastrophes qui touchent différentes régions du monde, ne nous sommes-nous pas dit: « Heureusement, ici, nous sommes à l’abri… »?
C’est parfois oublier que, par le passé, des séismes ont pu secouer la région qui nous parait si tranquille…
Comme ça a été le cas en Suisse, dans la région du Chablais vaudois, au 16e siècle.
Les ville et villages d’Aigle, Corbeyrier et Yvorne s’en souviennent encore…
C’était en mars 1584, la région d’Aigle et d’Yvorne (Vaud).
Un violent séisme ébranle la terre, déclenchant un gigantesque éboulement.
Celui-ci est précédé par quelques secousses peu perceptibles.
Le 1er mars à 11h30, pendant dix à douze minutes, la terre tremble longuement.
Le lendemain, lundi 2 mars, une nouvelle secousse se produit.
Le mardi, un grand vent et de la neige sévit sur tout le pays, toujours accompagnés, dans la région, de plusieurs secousses.
Et c’est le mercredi 3 mars entre dix et onze heures que se produit l’irréparable.
Les anciens villages de Corbeyrier et d’Yvorne sont ensevelis sous trois mètres d’épaisseur de terre et de gravats, anéantissant hommes et bêtes.
Corbeyrier comprenait alors huit maisons, une douzaine de granges et quelques moulins. Au total, 69 maisons, 106 granges, 4 caves et 2 battoirs furent recouverts.
Le séisme tua plus d’une centaine de personnes, dont beaucoup de femmes et d’enfants, les hommes travaillant aux champs, dans la plaine.
A Aigle, les dégâts sont considérables.
Le château n’est pas épargné.
Ses murs ont tenu le choc, mais les toits ont perdu la majeure partie de leurs tuiles.
De nouvelles tuiles sont acheminées en bateau de Morges à Villeneuve, avant de continuer leur route par char jusqu’au chantier.
Les toits ne retrouveront leur aspect initial qu’une année après la catastrophe.
Quant à Yvorne, la désolation des lieux est telle que, vers 1610, la douce Agathe, épouse du gouverneur Antonius von Erlach, mettra tout en œuvre pour que soit reconstruits le village et son vignoble.
Aujourd’hui, personne ne peut imaginer que ces lieux si paisibles ont pu subir un tel drame.
Les siècles passent, les générations se succèdent, mais les pierres se souviennent.
Martine Bernier
2 réflexions sur “Yvorne: L'éboulement de 1584”
Tu as raison, Martine. Ce devait être vraiment la fin du monde pour ces gens. En l’an 2000 nous avons commémoré cet événement à Yvorne. J’y ai joué le rôle d’une sorcière et raconté la légende de l’éboulement en ajoutant le conte « la soupe de caillou ». Quel beau souvenir tous ces yeux d’enfants – et d’adultes – captivés par l’histoire. Je me suis même fendue d’un texte, que je partagerais volontiers, mais je ne sais juste pas comment faire avec ce doc pdf… déjà que grâce à « spotlight » j’ai pu le retrouver au milieu de mon chenit virtuel!
Merci, Alice!
Et, pour ceux qui aimerait connaître le conte en question… le voici! Avec mes remerciements à son auteure!
Conte de l’an 2000
Susy revient à Yvorne
Je viens du pays des légendes et je suis si vieille que j’en ai oublié mon
nom. C’est normal de perdre un peu la mémoire j’ai plus de 400 ans et
dans le pays des légendes les noms sont moins importants. Depuis un mois
que je suis revenue rôder dans le village j’ai rencontré des enfants aux
Rennauds et ils m’ont donné le joli nom de Susy, il me plaît bien et je le
garde. C’est pour les enfants que j’ai été envoyée depuis le pays des
légendes, car on a toujours eu besoin de vieilles pour rappeler les histoires
anciennes. Voici celle que je dois vous raconter.
Il y a très longtemps, en 1584, un triste dimanche, la terre a tremblé dans ce
coin de pays. Je m’en souviens, j’étais alors jeune, pauvre et assez
méchante. Je n’avais ni maison, ni vivres et je passais d’un village à l’autre
pour demander l’asile dans les granges ou les écuries. Sale, habillée en noir
je faisais peur aux enfants. Ils se moquaient de moi, me criaient dessus et
m’appelaient la sorcière. Le mardi qui a suivi le tremblement de terre je
suis arrivée à Yvorne, un beau village. Toutes les maisons étaient bien jolies
et à force de travailler dur, les habitants vivaient bien et personne n’était
dans la misère. Je m’attendais a y être accueillie généreusement, j’espérais
même y rester quelque temps. Quelle ne fut pas ma déception de n’y
trouver que des regards hostiles et des portes claquées au nez. Je reconnais
qu’à l’époque j’étais particulièrement colérique et à mesure que je
descendais ce village je me suis fâchée et j’ai souhaité tous les malheurs
possibles à ses habitants. Quand finalement, aux Rennauds, de braves gens
m’ont accueillie j’étais encore toute énervée et leur ai annoncé une
catastrophe sans précédent.
Et horreur, c’est ce qui est arrivé le lendemain à midi. La montagne
ébranlée par le tremblement de terre est descendue d’un coup sur les
maisons d’Yvorne. J’ai peut-être oublié mon nom, mais ce spectacle je ne
l’oublierai jamais, ni le bruit des des pierres, ni les cris des bêtes et des gens
ensevelis vivants. Un gros rocher s’est arrêté juste derrière la maison des
Rennauds où j’avais passé la nuit. J’étais terrorisée par l’événement
provoqué par ma colère, mais j’étais surtout épouvantée par la découverte
d’une telle puissance de sorcellerie. Ébahie j’ai ramassé un caillou et je suis
partie en hurlant dans la plaine.
Pendant des jours et des nuits je suis restée recroquevillée dans les marais
pour dompter cette mauvaise force.
Finalement une nuit de pleine lune, grâce à ce simple caillou, j’ai trouvé la
solution. A partir du lendemain je forcerais les gens à m’accueillir malgré
eux, car je leur ferais de la soupe de caillou.
Le lendemain j’ai quitté les marais et je me suis rendue dans un petit
village. La première maison était habitée par une femme connue pour son
avarice, son égoïsme et sa gourmandise. On la surnommait Tante Berthe,
alors qu’elle s’appelait en réalité Rosine.
Ce matin-là, elle venait de se cuire un pain de seigle dont je pouvais sentir
l’odeur, quand je frappai à sa porte. Bien sûr, elle refusa de m’accueillir. Je
lui proposai de préparer une soupe au caillou si succulente qu’elle n’a pas
résisté à m’ouvrir sa cuisine. Elle me donna une marmite d’eau, tout en
camouflant rapidement son pain.
“Vous avez bien un peu de sel, ma brave dame”, lui demandai-je, en
posant mon caillou délicatement dans la marmite.
Tout en marmonnant elle me passait son pot de sel.
“Chez moi, lui dis-je, on met souvent un ou deux gros oignons, mais je
pense que vous n’en avez pas.
– Que croyez-vous, je sais cultiver mon jardin, moi!” Et elle sortit deux
oignons que je hachai et ajoutai à mon eau salée.
“Ma mère aussi avait un beau jardin et quand elle mettait des carottes dans
la soupe de caillou, c’était un vrai régal. Et certains jours elle y coupait
même un poireau. Ah, quel dommage, que plus personne ne sache jardiner
et cuisiner comme elle, soupirai-je avec nostalgie.”
Tante Berthe rougit de rage contenue et posa bruyamment un magnifique
poireau et de belles grosses carottes sur la table.
– Et ça, c’est pas des beaux légumes, je pense!”
Je me veillai bien de faire des commentaires et me contentai d’éplucher et
de couper en petits morceaux les carottes et le poireau. Bientôt ma soupe
commença à dégager un fumet appétissant.
“Mon grand-père avait un plantage et depuis qu’il est mort je n’ai plus
jamais retrouvé le goût des pommes de terre qu’il y cultivait. Je crois qu’on
n’en plante plus.”
J’en avais aperçu dans un panier près de la porte.
– Vous n’y connaissez rien, ma pauvre, les meilleures patates pour la soupe
ce sont celles-ci!” La tante Berthe me brandit le panier sous le nez et, le
regard admiratif, j’en pris quatre pour ajouter à mon potage.
“Dommage que ce n’est pas dimanche aujourd’hui, lui dis-je, tout en
brassant la soupe, car on aurait pu mettre un morceau de lard. Mais ça sera
bon quand même.”
– Mais vous sortez d’où pour ne mettre du lard que le dimanche. J’aurai
vraiment tout entendu aujourd’hui. C’est-il pas possible…” Je ne pus
entendre la suite, car elle était descendue à la cave et en remontant avec le
lard je l’entendis rouspéter après ces jeunes qui sont pingres et stupides à
faire peur.
– … comme si ça avait à faire avec les jours de la semaine, il ferait beau!”
Le lard légèrement fumé se coupa facilemnt. Il était tendre et la tante
Berthe avait de bons couteaux.
-Et j’espère que vous n’oubliez pas de mettre du persil, ronchonna-t-elle en
hachant avec exaspération un beau bouquet fraîchement cueilli.”
Dans la cuisine cela commença à sentir vraiment bon. La tante Berthe, prise
par une forte envie de goûter, sortit deux assiettes et deux cuillères de son
armoire.
– Alors, on la mange cette soupe au caillou, je me demande si c’est
vraiment bon, dit-elle sur un ton autoritaire en prenant place sur le banc.
Et asseyez-vous, vous me donnez le tournis à rester debout!”
Je mis la marmite au milieu de la table et m’assis doucement en face de la
tante Berthe. Je fus impressionnée par la tournure que prenaient les
événements. Cette femme si bourrue m’avait regardée et sur ses lèvres
apparut comme le début d’un sourire.
Je servis une assiettée à toutes les deux et tout en l’observant du coin de
l’oeil je m’apprêtai à prendre la première bouchée, quand soudain la tante
Berthe se leva brusquement. Un moment j’eus peur d’avoir échoué et de
me faire jeter dehors.
– On ne dira pas que chez la tante Berthe on mange la soupe sans pain!”
bougonna-t-elle. Elle sortit le pain frais de sa cachette et m’en coupa une
tranche.
“Bon appétit, tante Berthe, lui dis-je, et merci!”
Depuis ce jour j’allais de village en village avec comme seul bagage ce
caillou d’Yvorne. Et partout j’étais accueillie et plus aucun village que j’ai
visité n’a été détruit par les pierres.