Le départ d'Alexandre

Peut-être l’aviez-vous lu…
En 2010, j’avais consacré un texte à Alexandre, le fils d’un couple de mes amis.
Alexandre, né la même année que mon fils aîné, mais qui avait été malmené par la vie.
Enfermé dans un handicap sévère, il était pourtant un être subtil et plein de charme.
Nos rencontres m’avaient profondément émue, je pensais souvent à lui.

Samedi soir, au cours d’un repas, j’ai parlé de lui dans la conversation, évoquant mon souhait de le revoir, de revoir ses parents .
Et c’est là que mon fils m’a appris qu’Alexandre nous a quittés en octobre.
Je ne l’avais pas su… cette nouvelle m’a bouleversée.
Ma pensée a immédiatement été vers sa famille.
Ce lundi matin, j’ai appelé sa maman qui m’a parlé des derniers mois de la vie de son enfant. 

Ce matin, c’est à lui que je pense.
Bien qu’incapable de parler et de réagir comme tout le monde, Alexandre était un garçon lumineux et avait sa manière à lui de communiquer.
Sa façon d’exprimer son affection à ses parents, à son frère Benoît et aux personnes qu’il appréciait, était à la fois inattendue, tendre et mutine.
J’ai eu la chance de le voir joyeux, heureux des moments qu’il vivait.
Il a nourri en moi des sentiments et une réflexion que j’avais commencée depuis longtemps à propos des handicaps, de notre relation aux personnes fragiles.
Avec lui, tout était entier, direct.
Sa maman m’avait expliqué qu’Alexandre aimait ou n’aimait pas, et le montrait.
J’avais fait partie des privilégiés qui ont eu droit à ses caresses, à sa gentillesse bien à lui.
Et à ses petites tapes sur la tête lui permettant de se rappeler à notre bon souvenir si, par mégarde, nous ne lui prêtions pas assez attention à son goût.
Il réussissait à attendrir, à faire rire, à émouvoir…

La fin de la vie de ce jeune homme si malmené par l’existence a été très dure.
Pendant que sa maman m’en faisait le récit par téléphone, j’avais une boule dans la gorge.
Du chagrin, pour lui, mais aussi pour les siens qui ont vécu l’enfer de le voir souffrir, dépérir, s’angoisser.
Alex avait 31 ans lorsqu’il est parti.
Pendant tout ce temps, ses parents se sont consacrés à lui avec tellement d’amour et d’intelligence qu’ils ont réussi à rendre sa vie la plus douce possible.
Leur dévouement total forçait l’admiration.
Et la manière dont Benoît, leur deuxième fils, leur a emboîté le pas, m’a énormément touchée.
Pendant tout le temps qu’il a passé à l’hôpital, à aucun moment, Alexandre n’a été laissé seul.
Tous les trois se sont relayés à son chevet pour veiller sur lui, pour le rassurer, pour éteindre la lueur d’angoisse qui naissait dans ses yeux, pour expliquer au personnel soignant ce qu’il n’arrivait pas à dire.
Il ne pouvait pas parler, ne pouvait donc pas définir ses symptômes,  sa souffrance.
Le travail des médecins a été extrêmement difficile.
Entre espoir et désespoir, sa famille est passée par toute une gamme de sentiment épuisants moralement et physiquement.

Certaines croyances concernant la réincarnation estiment que les personnes handicapées sont des âmes extrêmement évoluées qui choisissent de s’incarner dans ces conditions pour faire l’expérience de l’une des existences les plus  plus lourdes à supporter.
Elles disent aussi que chacun de nous choisit la famille dans laquelle il va naître.
Peut-être est-ce le cas…
Philosophiquement, le concept est beau…
Ce jeune homme qui réussissait l’exploit d’être si présent et expressif alors qu’il était privé de la plupart de ses moyens, est  pour moi une belle âme, que j’espère aujourd’hui libre comme un oiseau.
Avec ses grands yeux sombres, sa manière si particulière d’aborder les autres, il a fait évoluer ceux qui l’ont approché, moi y compris.
Parce qu’il était tellement attachant qu’il donnait envie de surmonter l’appréhension que peut provoquer le handicap, simplement pour pouvoir entrer en contact avec lui.
Il déclenchait en nous des sentiments de tendresse immédiats.
Il est là, quelque part.
Peut-être sous la forme d’une étoile, comme le disait sa maman.
Peut-être sous celle d’un rayon de lumière.
Inoubliable.

Martine Bernier 

https://ecriplume.com/2010/01/alexandre-et-son-monde-interieur/

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