Les quatre ados

Nous étions installés dans le hall de notre cinéma préféré et nous attendions la séance lorsqu’ils sont arrivés.
Deux très jeunes adolescentes, qui ne devaient pas avoir plus de treize ou quatorze ans, accompagnées de deux garçons à peine plus âgées qu’elles.
Elles se sont assises à la table en face de la nôtre, ont tourné leurs chaises dans notre direction.
Elles étaient à un mètre de nous, il était difficile de ne pas les remarquer.
Par leur attitude, elles semblaient sorties tout droit d’un sketch d’Elie Semoun.
Mais ce qui peut être drôle sur scène ne l’est pas forcément dans la vie…
Visiblement, elles faisaient leurs premières armes de mini femmes, très fières de sortir avec des garçons, et désireuses que le monde entier se rendent compte de leur pouvoir de séduction tout neuf.
Elles minaudaient, multipliaient les gestes qui leur permettaient de montrer les multiples bagues et bracelets qu’elles portaient, avaient un comportement tellement caricatural que les gens qui les entouraient détournaient le regard, gênés.
L’une d’elles avait mis du rouge à lèvres bien rouge, ce qui accentuait le malaise.
Des petites filles déguisées en femmes…
Mon Capitaine et moi en avons vite eu assez.
Nous nous sommes levés et nous sommes dirigés vers la porte qui s’ouvrait.
Nous étions installés dans la salle lorsque nous avons vu arriver nos quatre ados… qui se sont assis exactement devant nous.
Et le manège a repris… les filles pouffaient sans interruption, s’interpellaient, vérifiaient leurs coiffures dans leurs téléphones transformés en miroir en commentant avec de petits rires et des remarques bien sonores…
L’un des deux garçons était d’origine Africaine.
Il avait un visage d’enfant… et une précocité en matière de travaux d’approche de la gente féminine qui n’était pas franchement en accord avec son air juvénile.
Inconsciente des risques qu’elle prenait, la gamine qu’il tentait de séduire l’aguichait par ses mines et ses poses,  et reculait à toute vitesse dès qu’il tentait de lui voler un baiser.
L’autre garçon, qui semblait plus âgé et plus calme, riait des frasques de son cadet.
Il avait la peau mate et était nettement moins entreprenant avec  l’autre jeune fille qui parlait fort et insultait « aimablement » son amie et son chevalier servant.

Le  manège était bruyant, mais personne ne bougeait.
La petite nana qui faisait l’objet de tous les assauts de la part de son voisin a pris ses aises, se calant confortablement dans son siège,  étalant ses jambes jusqu’à poser ses pieds sur le siège de devant.
Le cinéma appartenait au petit groupe d’ados décidés de montrer qu’ils existaient, comme tous les ados du monde.

C’était compter sans mon Capitaine.
Il s’est penché vers eux et s’est adressé très calmement à la demoiselle qui prenait ses aises:
– Mademoiselle? Retirez vos pieds de là, ce n’est pas fait pour cela. Merci.

Il n’a pas besoin  d’élever la voix pour se faire obéir.
En une seconde, la gamine avait retrouvé une position normale, et tous les quatre adoptaient un comportement plus paisible.
Celui qui m’accompagne, m’a regardée pour vérifier que je n’étais pas en désaccord avec ce qu’il venait de faire.
Mais non… son intervention a soulagé tous ceux qui assistaient à la scène sans oser bouger.

J’ai regardé les quatre ados.
Ils continuaient à se taquiner, mais plus discrètement. 
Des enfants qui jouent aux grands… sans trop savoir comment faire pour être pris au sérieux.
Des gamins qui font leurs premiers pas de bébés adultes dans un monde dont ils ne connaissent pas encore vraiment les codes.
L’âge où la plupart d’entre nous se comporte de manière insupportable… tout en étant d’une fragilité déconcertante.
L’âge où l’on a tellement envie de ne ressembler à personne, et surtout pas à ses parents, que l’on adopte des comportements qui font ressembler à tout le monde… ou du moins à une vaste catégorie de jeunes du même âge.
L’âge de l’exaltation, de l’euphorie extrême et des premiers grands désespoirs.

Je regardais ces deux filles qui avaient besoin d’être rassurées sur leur pouvoir de séduction.
En les observant, il était frappant de voir combien elles sont cassables sous leurs airs de Paris Hilton.
Et je me disais que leurs parents ont du souci à se faire…

 

Martine Bernier

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