La couleur, la lumière… et l’humilité

Alors que cela ne m’était jamais arrivé auparavant, j’ai commencé à avoir peur du noir et de la nuit peu après la mort de mon père.
Le problème était que, désormais, je ne pouvais plus en parler à personne et qu’il fallait que je me rassure toute seule.
Papa avait eu assez de temps pour me faire comprendre qu’en cas de danger, la peur était un excellent réflexe car elle nous poussait à prendre la fuite ou à nous mettre à l’abri.
Mais la peur  irrationnelle, elle, était une ennemie qu’il fallait combattre en comprenant pourquoi nous avions peur.
Nuit après nuit, donc, dans ma chambre d’enfant que je partageais avec mon frère cadet, j’essayais de comprendre pourquoi je craignais autant ces heures d’obscurité.
Et à force d’y réfléchir, j’ai compris…
Certains me diront que j’ai réinventé le fil  à couper le beurre et ils auront sans doute raison.
Mais à neuf ans, réaliser que je venais de comprendre la raison de mon aversion pour la nuit a carrément été une révélation.
J’ai compris que sans la lumière… les couleurs n’existaient plus.
Oui, je vous l’ai dit, cela peut paraître idiot…. mais c’est devenu pour moi une notion primordiale.
Une notion à laquelle je pense très souvent le soir, lorsque j’éteins.
Rien n’existe à nos yeux sans la lumière…
Les couleurs les plus recherchées, les oeuvres les plus belles: tout devient invisible.
Pourtant, les objets ne disparaissent pas pour autant.
La peur du noir était toujours là, mais cette « découverte » d’enfant m’ouvrait un monde insoupçonné qui a nourri mon imaginaire pendant des années.
Je m’inventais des histoires où des artistes jouaient avec l’ombre et la lumière.
Mais, surtout, j’ai réalisé que ce n’était pas parce que je ne voyais pas les choses qu’elles n’existaient plus.
De là à faire le rapprochement avec la disparition de mon père, il n’y avait qu’un pas… que j’ai franchi allègrement.

Je vivais à l’époque dans une grande solitude imposée.
L’isolement à au moins cela de positif qu’il vous laisse beaucoup de temps libre.
Ce temps, je l’occupais le plus souvent en lisant, en écrivant et en réfléchissant.
A travers ces lectures tirées secrètement de la bibliothèque de mon père, lectures qui n’étaient pas de mon âge mais qui me passionnaient, j’ai réalisé que mon esprit minuscule ne pourrait jamais connaître et comprendre « tout ».
Ce « tout » qui, pour moi, représentait la connaissance universelle et l’ensemble des phénomènes et des autres réalités qui ne nous sont pas accessibles.
Pendant des années, cette constatation m’a frustrée.
Je pensais que plus j’apprendrais de choses, moins j’aurais peur de ce qui m’entourait.
Donc, je lisais plus encore, essayant de comprendre et de retenir un maximum d’éléments.
Mais plus j’apprenais et plus je découvrais que… je ne savais rien.
Il avait raison, Gabin, en interprétant « Maintenant je sais ».

Cette quête m’a enseigné un élément précieux: l’humilité est une donnée essentielle.
Elle est une prise de conscience  sans laquelle nous pouvons très facilement nous transformer en Princes des Pignoufs.
Par la suite, les rencontres que j’ai eu la chance de vivre à travers mon métier ont confirmé ce que je pensais…
Dans leur grande majorité, plus les personnes que j’ai côtoyées sont cultivées, intelligentes et humanistes, plus elles sont humbles, respectueuses des autres, très conscientes de ce qu’elles savent… mais aussi de ce qu’elles ne savent pas.
Je pense notamment à Albert Jacquard qui m’a profondément impressionnée, et dont je relis toujours les écrits.

Quand je pense c’est la peur du noir qui a été le déclencheur de ma quête perdue d’avance vers « l’inaccessible étoile » qu’est pour moi le savoir absolu…

Martine Bernier

 

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2 réflexions sur “La couleur, la lumière… et l’humilité”

  1. Bonjour ,je viens de lire (couleur ,lumière et humilité) bien de votre avis.
    J’appréciais beaucoup Albert Jacquard on ne manquait jamais ses conférences.
    Savez -vous qu’il avait de la famille en H.S.,sa fille était pharmacienne à Beaujeu et son mari docteur.
    Bonne journée bisous à vous deux…

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