La promesse

D’habitude, je réagis peu ou pas aux taquineries de mon Capitaine à propos de la Suisse et des Suisses.
Mais là… allez savoir pourquoi, je n’ai pas laissé passé.
Et ma manière à moi de marquer mon désaccord est de dire ce qui m’agace… puis de me murer dans un silence très inhabituel.
Je ne boude pas, non: je manifeste par le silence!
J’ai donc expliqué:
– Ce pays m’a accueillie par deux fois et m’a donné la possibilité d’être ce que je suis. Je sais que comme partout on peut y croiser des gens bien et d’autres moins bien que d’autres, et que tout n’y est pas parfait. Je suis la première à  dire quand quelque chose me révolte. Mais si la critique devient systématique, c’est insupportable. Quand tu fais cela, c’est moi que tu blesses.
– Mais… tu es Belge!
– Non! Je suis née en Belgique mais je suis de nationalité Suisse.

Et j’ai filé.
Sachant que si Celui qui m’accompagne réagit parfois de cette manière, il a des raisons… ayant eu à rencontrer deux ou trois de ces « gens moins bien » dont chacun de nous se passerait.
Quelques minutes plus tard, il vient me retrouver pour s’excuser.
Commence alors un dialogue loufoque qui nous amuse autant l’un que l’autre:
– Promis, je ne le ferai plus!
– Hum. Ca, tu me l’as déjà dit il y a quelques semaines… et tu t’es empressé de recommencer!
– Non, mais cette fois, j’arrête!
– D’accord. Va m’écrire tout cela sur un papier, signé et daté, pour que j’aie une preuve écrite de ton serment.
– Oh! Bébé, voyons!
– Si, si, j’y tiens!

Il quitte la pièce et revient quelques secondes plus tard brandissant une feuille sur laquelle il a griffonné:
« J’aime la Suisse, j’aime les Suisses, mais je préfère les femmes belges ».

– Ca ne va pas du tout.
– Ah bon?
– Non. Tu n’as rien promis du tout.

Il soupire, reprend son papier et s’absente un instant:
– Voilà!
Il a rajouté une phrase rapide: « Et je ne critiquerai plus pendant un an. »

– Tu n’as pas précisé que ce sont les Suisses que tu ne critiqueras plus!
– C’est sous-entendu!
– Non: je te connais, à la prochaine occasion tu vas recommencer et tu me diras que tu n’as jamais écrit que tu épargnerais les Suisses!
– Bon, bon… tu as un stylo?

Il ressort, revient.
Cette fois, il a ajouté « les Suisses » à sa promesse.
Et moi, à chaque fois qu’il a quitté la pièce, j’ai enfoui mon visage dans un coussin pour pouvoir pouffer discrètement, me reconstruisant un visage sérieux comme une papesse à chacun de ses retours:

– Oui… mais tu as mis « pendant un an ». Donc te recommenceras.
– Oui, oh…. un an, c’est déjà beaucoup!

Soit.
Je veux bien faire preuve de clémence.
Je prends mon papier, adresse un large sourire à mon Capitaine et ajoute:
– Tu sais où je vais le mettre?
– Non?
– Je vais le coller dans le « Grand Grimoire familial à l’intention des générations futures » pour que nos descendants sachent toujours dans cent ans que tu étais un sacré spécimen!!
– Oh! Non!
– Si!

Il a fallu une seconde et demi.
Une seconde et demi pour sombrer tous les deux dans un de nos fous rires qui, lui, a duré beaucoup plus longtemps.

Ce matin, avant de me remettre au travail, mon premier geste a été de glisser mon précieux document dans le grimoire…

Martine Bernier

 

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