Un rite oublié

Je lisais hier lorsque, dans ma lecture, je suis tombée sur cette phrase:

Quand elle apprit que son fils avait été porté disparu au combat, elle alla couper des branches de conifères et les plaça sous le lit de Ruben.
Cette coutume suédoise a pour objet d’assurer un passage sûr à l’âme lorsqu’elle retourne chez elle.

L’ouvrage relate des faits réels qui se sont déroulés lors de la dernière Guerre Mondiale.
J’ai eu beau rechercher, je n’ai pas trouvé trace de ce rituel sur internet ou dans mes livres.
Mais j’ai été frappée de voir que quelle que soit la région du monde concernée, la mort a toujours été accompagnée de rites finalement assez similaires d’un pays ou d’une culture à l’autre.
L’offrande reste un point majeur…
La seule chose que j’ai pu vaguement effleurer est que celui-ci s’apparente beaucoup aux traditions païennes dans lesquelles l’arbre tenait un rôle important.

Ce geste accompli par cette mère perdant son fils aviateur âgé de 21 ans a eu lieu en 1945.
Il ne semble plus avoir sa place aujourd’hui si j’en crois le grand vide de la Toile à son sujet.
Et je ne peux m’empêcher de penser aux travaux effectués par l’anthropologue et sociologue suisse Bernard Crettaz et son épouse aujourd’hui décédée Yvonne Preiswerk sur les rites et coutumes qui accompagnent la mort dans notre société.
Bernard Crettaz avait continué à parler de ce sujet après le décès de son épouse, à travers des « Cafés Mortels ».
Et il m’avait expliqué en interview que notre société craignait tellement la mort qu’elle évitait désormais de l’afficher comme cela se faisait encore lorsque les maisons étaient drapées de noir.
A l’époque de l’interview, il relevait que nombreux sont ceux qui terminent leur vie à l’hôpital ou en EMS, qui ne peuvent finir leur vie chez eux ce qu’il considérait comme très regrettable.
Se cacher la tête dans le sable à la manière de l’autruche lorsque la mort survient lui paraissait et, j’imagine, lui paraît toujours, une hérésie.
Il fallait, m’expliquait-il,  que chacun puisse s’exprimer à ce sujet, retrouver les gestes, les mots, les rites permettant d’aller au bout de son deuil.
J’aime la sagesse pleine de bon sens de cet homme rayonnant.

Martine Bernier

par

5 réflexions sur “Un rite oublié”

  1. La mort est aussi naturelle que la naissance. On fait des fêtes pour l’arrivée d’un nouveau-né, on faisait aussi des fêtes lorsque d’autres partent. Lorsque j’étais enfant, j’aimais accompagner mon grand-père aux veillées au mort. Le mort était exposé dans une pièce avec les femmes autour de lui qui se recueillaient, puis papotaient. Les hommes venaient saluer le mort et se regroupaient dans une pièce à côté, nettement plus bruyante. Là, chacun à son tour racontait des anecdotes du temps du disparu, généralement des anecdotes amusantes, parfois hilarantes, et quelques fois pire encore. Si on offrait le café et la brioche aux femmes, on sortait les bouteilles du disparu pour ces messieurs qui pouvaient ainsi rendre honneur à leur camarade en partageant son vin.
    Quelquefois, c’était l’occasion de faire des blagues plus cocasses. Je me souviens du départ de Papillus, ancien maire de mon village natal, alors qu’il reposait dans son lit dans la grande cuisine. Les jeunes avaient ouvert la porte de la pièce où on avait enfermé tous ses chiens, et ceux-ci avaient sauté sur le lit du mort et le léchaient pour le ramener à la vie. Ils ont beaucoup ri, on se l’est longtemps raconté. Aujourd’hui, qui s’en souvient ?
    Je ne suis donc pas impressionné par la mort, et j’aime me rendre aux obsèques de mes amis et connaissances, leur faire un dernier au-revoir. La mort est une fête, peut être moins joyeuse qu’une naissance, mais c’est un moment de communion avec le défunt et les personnes présentes, quelle que soit sa religion ou sa façon de penser. Honorer ses morts c’est remercier la vie …

  2. Lorsque cela a été le tour de mon grand-père de partir, j’ai bien sûr été très triste. La veille à l’hôpital où il avait été admis, il ne voulait plus manger, j’avais insisté et il avait accepté que je lui donne moi-même une purée avec du jambon mouliné. Puis, avec ma grand-mère nous sommes rentrés à la ferme. J’avais alors dit à ma grand-mère que j’irais le voir demain avant midi pour l’aider à manger. Elle m’a dit que cela serait inutile car il ne serait plus.
    – Pourquoi dis-tu cela mémère, lui dis-je ?
    – Parce ce qu’il m’a dit au revoir quant nous avons quitté la chambre, et il ne me l’avait encore jamais dit, il va nous quitter dans la nuit.
    Il était neuf heures, le lendemain matin, quand l’infirmière nous demandait d’amener ses habits pour le préparer. J’ai foncé à l’hôpital pour me rendre compte moi-même, il était encore dans le lit, je lui ai fermé la bouche, c’était fini.
    Les pompes funèbres nous l’ont amené l’après-midi, j’avais préparé la grande chambre avec un lit pour l’accueillir, j’avais même allumé du feu pour tempérer la pièce, nous étions à la fin de l’hiver. On me demanda d’éteindre le feu pour la conservation du corps, ce que j’avais fait dans l’instant, me rendant compte de mon erreur. Ma grand-mère ne pleurait pas, je lui ai demandé pourquoi ? Elle m’a répondu qu’elle n’avait plus de larme.
    J’ai préparé les brioches, le café et son poêle, pièce où il vivait en permanence, pour recevoir les gens pour la veillée. Ils étaient venus nombreux, mon grand-père était connu. Dans sa pièce, j’avais mis à part une bouteille d’alcool de topinambour. Mon grand-père distillait et il avait gardé deux bouteilles de cet alcool qui avait fait pendant la seconde guerre mondiale et qui lui servait de monnaie d’échange avec les Américains qui s’esclaffaient en gouttant « Good, good Whiskey ». Les anciens me disaient que c’était imbuvable, il ne restait qu’une bouteille que j’ai ouverte quand les plus proches de nous étaient tous présents et nous l’avons goûté. Elle était excellente, parfumée, déjà un peu jaunie par le temps. Les anciens n’en revenaient pas, qu’un tord-boyaux pareil puisse s’être tant bonifié avec les années.
    On l’a bue, le vin aussi, et chacun à leur tour, ils m’ont conté les péripéties de mon presque père. Il en avait fait des âneries dans sa vie, m’en avait raconté pas mal en riant, mais j’en ai encore découvert cette nuit-là. Il me semble qu’il était encore là, pas très loin, à rire comme nous de toutes ses blagues qui étaient enjolivées pour effacer la tristesse de son départ.
    Entre, un accident de calèche où il avait versé dans un virage en allant trop vite, la fois où le bandage de la roue d’une de ses calèches s’étant décollé, il venait frapper le cul du cheval qui s’était emballé, toute sa vie défilait en histoires courtes. Ses exploits durant la guerre, le jour où il était tombé sur un nid de guêpes recevant des centaines de piqûres des insectes, les deux coups de fourche qu’il avait mis au voisin une nuit ou celui-ci volait les droits d’eau d’irrigation. C’était bien d’être entouré pour cet adieu à mon aïeul, l’église était pleine pour celui qui n’y mettait jamais les pieds, et entouré de tous, nous l’avons mis en terre dans le tombeau où ses parents l’attendaient.
    C’est bien de fêter le départ de nos amis et de nos connaissances, c’est plus facile bien entouré, on sent que l’on fait partie de la même communauté. Je n’hésite jamais à aller aux obsèques des gens que je connais et qui nous quittent.

  3. L’être humain se met souvent la tête dans le sable pour ne pas voir la réalité, mais l’autruche, jamais ! Il ne faut pas se moquer de l’autruche, on ne sait pas ce qui peut nous arriver après la mort, ou avant !

    Excellente journée !
    j.

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