La survivante

Nous avons à peu près tous un attachement démesuré pour un vêtement qui nous accompagne depuis longtemps.
Pour ma part c’était un jean qui, après de longues années était tellement usé voire élimé que j’ai dû me résoudre à m’en séparer la mort dans l’âme.
Il faut dire que je vous parle d’un temps que les moins de 15 ans ne peuvent pas connaître: l’époque où, lorsque l’on achetait des jean’s, on achetait plus de tissu que de trous.
Mon Capitaine a lui aussi un vêtement fétiche: une chemise rose saumon à manches courtes qui lui va merveilleusement bien.
Lorsque je l’ai rencontré, il la portait déjà. 
Onze ans plus tard, cette fidèle compagne a perdu de sa superbe…
Décolorée par le soleil, usée jusqu’à la corde, elle a vécu et bien vécu.
A plusieurs reprises donc, en la voyant émerger de mon panier de repassage, j’ai expliqué à mon Capitaine que ce n’était plus acceptable.
– Il va falloir que tu te décides à t’en séparer: elle n’est plus portable…
A chaque fois, sa réponse est la même:
– Mais… elle va encore très bien pour travailler dans le jardin!
Et à chaque fois, compatissante, je craque…
Je repasse encore et encore la chemise essouflée, jusqu’à la prochaine fois.
Il y a deux ou trois semaines, devant son état pitoyable, j’ai prévenu mon Capitaine:
– Cette fois, ce n’est plus possible! On la jette!
– Ecoute… puisqu’elle a été lavée, je la mets encore pour cette fois, puis je m’en débarrasse.
J’ai bien noté…

Samedi matin.
Avant de m’atteler à l’écriture d’un article commandé, je file m’occuper du repassage.
Et là… je me retrouve face à la fameuse chemise!
J’ai aussitôt réagi:
– Tu es là? 
– Oui?
– Ce n’est pas croyable! Ta chemise est à nouveau là alors que tu m’avais promis que tu la jetais!
– Ah bon?
– Cette fois, c’est moi qui la mets à la poubelle. Je t’ai offert plusieurs autres chemises qui te vont très bien aussi…
– Non, ne la jette pas! Elle va très bien pour aller…
– … au jardin, je sais. Sauf que tu sors du jardin avec elle sur le dos, tu prends la voiture et elle continue à t’accompagner partout. Elle n’est plus en état. Dis lui au-revoir, elle s’en va!
– Nooooon!!!

Bref. 
J’ai encore craqué.
J’ai repassé le chef-d’oeuvre en péril.
Mais je n’ai pas pu m’empêcher de lui murmurer, avant de la placer sur un cintre:
– Toi, je te préviens, si je te vois sortir de l’enceinte de la maison sur son dos, couic! Je m’occuperai de toi lorsque nous serons seules!
 
Croyez-moi si vous le voulez, j’ai eu l’impression de l’entendre ricaner.

Martine Péters

 

 

 

par

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *