Le contrepoison

Mercredi matin.
Les enfants de l’atelier sont très excités… comme c’est le cas depuis le début de la semaine, me dit-on.
Ils ne tiennent pas en place, ont de l’énergie à revendre, ont tous mille choses à me dire ou à me demander.
A cet instant, il me faudrait dix têtes et vingt bras…
Dans ces cas-là, il n’y a pour moi qu’une solution pour canaliser leur énergie et capter leur attention: les impliquer davantage dans l’aventure que je déroule avec eux depuis quelques séances… et ajouter un rebondissement inattendu.
En fin de séance, j’improvise donc en prenant ma voix mystérieuse:
– Attention… vous poussez cette nouvelle porte, et vous entrez dans une pièce uniquement occupée par un grand aquarium rempli d’eau salée. Dans le bas, du sable… mais vous ne voyez rien d’autre, si ce n’est une affichette collée à côté de l’aquarium. Il y est inscrit: Danger, ne pas mettre sa main dans l’eau! Que faites-vous?
Deux avis se dessinent: ceux qui obéissent à l’avertissement, et ceux qui veulent l’outrepasser.
– D’accord… ceux qui l’ont décidé, plongez vos mains… mais vous savez que vous prenez un risque!
Quatre enfants sur sept font mine de glisser leurs mains dans l’aquarium imaginaire, et sept paires d’yeux guettent ma réaction.
Je pousse une exclamation stridente: 
– Aïïïïïïeeeee!!!!!!
– Quoi?! Qu’est-ce qui s’est passé? Qu’est-ce qu’il y a dans l’eau?
– Les enfants, je suis désolée… Vous venez de plonger les mains dans l’aquarium des Dragons Bleus des Mers, aussi appelés les Hirondelles des Mers. Je vous avais prévenu qu’il y avait un risque…
– Mais… qu’est-ce qu’ils nous ont fait???
– Ils vous ont tous piqué, et leur piqûre est extrêmement toxique et urticante. Regardez vos bras… vous êtes déjà couverts de pustules, et ça va aller de pire en pire. Vous ne pouvez plus bouger normalement et, dans quelques instants, vous allez vous retrouver paralysés si nous n’intervenons pas!

Pauvres hirondelles des mers… j’ai singulièrement exagéré la gravité des effets de leurs morsures, mais… c’est pour la bonne cause!
– Mais qu’est-ce qu’il faut faire??? Ca brûle!!!
– Il y aurait bien une solution, mais pour cela, seuls vos camarades qui n’ont pas mis leurs mains dans l’eau peuvent vous aider.
– Dis nous ce qu’on peut faire, s’il te plaît! On ne peut pas les laisser comme ça…
– Oui, on a mal!

Je me tourne vers les trois rescapés:
– Bon, l’équipe des Sauveteurs, à nous! Sur le panneau qu’il y a près de l’aquarium, il est écrit quelque chose en tout petit, que personne n’a pris la peine de lire: « Si vous avez été piqués par le Dragon Bleu des Mers, vous avez trois minutes pour prendre un antidote, sans quoi vous serez entièrement paralysés ». Est-ce que quelqu’un d’entre vous a du contrepoison dans sa besace? Il en faut quatre fioles!

Les Sauveteurs se ruent sur leurs cahiers et ajoutent le matériel en question à la liste des choses se trouvant dans leurs sacs.
Puis ils reviennent en courant, brandissant des seringues imaginaires.
Je leur demande innocemment:
– Vous savez faire des piqûres?
– Heu.. non…
– Tant pis, nous n’avons pas le choix, il nous reste trente secondes! Le groupe des blessés, il va falloir être courageux! A mon signal, serrez les dents! Un, deux, trois, PIQUEZ! 
Et zou, les sauveteurs injectent le produit salvateur.
– Regardez… les boutons et les pustules qui apparaissaient sur vos bras commencent déjà à partir… Vous êtes sauvés!

La séance se termine dans le soulagement général…

Martine Péters

 

 

 

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