La Saga Eurovision: un reflet de l’Europe

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Tous les Suisses romands connaissent Jean-Marc Richard.
Pour ceux qui liraient ce texte depuis un autre pays et qui ne feraient pas partie des initiés, sachez qu’il s’agit d’un homme de télévision et de radio plein d’empathie et de tact.
Parmi ses multiples activités, il en est deux auxquelles il est fidèle depuis 25 ans: la Chaîne du Bonheur, qui est le visage de la Suisse solidaire et qui récolte des dons pour des projets humanitaires et sociaux, et… le concours Eurovision de la Chanson.

Sa longévité à la présentation de ce dernier fait de lui le doyen des présentateurs de ce programme (non pas en âge, mais en temps de participation, précise-t-il au passage!)
En 25 ans, il a cumulé une somme de connaissances sur le sujet qu’il a eu envie de compiler dans un livre en compagnie de son complice Nicolas Tanner et de Mary Clapasson.

Lorsque le livre est arrivé entre mes mains, j’ai été surprise.
Je ne m’attendais pas à un ouvrage aussi épais et documenté.
Et je l’ai lu avec plaisir avant d’interviewer Jean-Marc Richard.
Préfacé par Nana Mouskouri et Björn Ulvaeus, membre du groupe ABBA, l’ouvrage revient sur chaque édition, année après année, de 1956 à nos jours, revenant sur les succès, les échecs, les anecdotes et les scandales, les classements, les chansons et les artistes.
Des interviews et un grand nombre de photos et de documents viennent étoffer le tout, transformant le tout en véritable bible de l’Eurovision.

L’idée de l’écrire leur est venue alors que Jean-Marc et Nicolas, qui présentent le concours ensemble depuis dix ans pour la Suisse romande, ont été interpellés par un collègue présentateur qui leur a demandé pourquoi ils n’écriraient pas un livre…
« C’est parti de cette phrase…  Nous nous sommes associés à Mary et nous avons mis deux ans pour arriver à ce résultat. C’est un travail de fond, mais c’était l’objectif. Nous voulions quelque chose qui aille le plus loin possible, avec l’envie de réaliser une suite tous les cinq ans s’il y a un intérêt de la part du public.
Ce que nous avons essayé de faire, c’est d’intéresser les gens au phénomène Eurovision, qui est un phénomène culturel et social…

– Comment se passe le concours pour vous? Lorsque vous y allez, vous restez évidemment plusieurs jours… Comment cela se déroule-t-il?
Lorsque nous y allons, nous restons une semaine, parfois un peu plus longtemps. Mais nous communiquons toute l’année avec d’autres commentateurs, les gens à travers les réseaux sociaux et nos propres canaux. Nous sommes connectés toute l’année.

– 25 ans de souvenirs à votre actif…  certaines années vous ont-elles marqué plus que d’autres?
En 1993, à Millstreet, l’Eurovision a été organisée dans un ancien manège, en Irlande. Je garde un souvenir extraordinaire du climat, de l’ambiance qui y a régné. L’édition de Malmö, en Suède, m’a marqué aussi parce qu’une partie de ma famille habite là-bas, et que je m’y rendais dans mon enfance.  Et puis je dirais que les deux éditions de Kiev m’ont beaucoup touché, car elles sont liées à des épisodes difficiles dans ce pays. Il y avait la Révolution Orange en 2005, et la guerre aujourd’hui, en 2017. A l’inverse, celle de Dusseldorf et de Moscou m’ont laissé un sentiment lié au côté policé, très strict, rigide. A Dusseldorf, nous nous étions dit que comme c’était les Allemands qui organisaient, ce serait réussi de main de maître. Et en fait, ça a été l’année où nous avons eu tous les soucis possibles avec la sécurité, les problèmes techniques, etc. Alors qu’en Azerbaïdjan, tout s’était bien passé. Pourtant, là, nous étions dans un pays où les droits de l’Homme ne sont pas respectés. Pour organiser le concours et préparer la salle du point de vue de leur vision, ils avaient mis dehors des populations complètes d’anciens quartiers de Bakou et ça nous a permis de dire un mot sur cette situation à l’antenne. La chanteuse suédoise avait pris fait et cause pour les droits de l’Homme dans ce pays… c’était bien.

– Là, nous sommes au coeur du phénomène de société que représente l’Eurovision, très lié à l’actualité et qui dépasse largement le cadre de la chanson…
On dit souvent que le concours est un peu en avance sur les événements qui vont se produire ou qui sont en train de se produire. La déconnexion avec la Turquie par rapport à l’Europe s’est faite d’abord à l’Eurovision avant qu’elle n’intervienne dans la vie géopolitique. On assiste à  l’arrivée de certains pays comme l’Ukraine, qui sont résolument prêts à venir vers l’Europe, et qui affirment que la porte la plus importante, pour eux, était d’organiser le concours et de le réussir. On voit l’élargissement du concours vers des pays qui ont vraiment envie de faire partie de l’Europe, et d’autres qui, comme la Grande-Bretagne qui vote le Brexit et qui n’obtient aucune voix des téléspectateurs pour sa chanson. C’était significatif… Ils ont été sanctionnés dans cette décision de quitter l’Europe. Les pays de l’Est sont sensibles à cela. On voit aussi des pays comme la Hongrie qui envoie un chanteur Rom, alors que le pays et le gouvernement sont très nationalistes. Il y a des phénomènes tels que ceux-ci qui vont à contrario des tendances ou qui les précèdent.

– Certains artistes vous ont-ils marqué plus que d’autres?
C’est très difficile à dire… A Bakou, j’ai trouvé Loreen très courageuse, parce qu’elle exprimait vraiment la diversité. J’ai aussi été marqué par certaines rencontres que l’on a pu faire, comme celle de Björn, d’ABBA, qui a écrit notre préface, et qui est à la fois un homme de simplicité et d’engagement pour l’Europe. Sinon, parmi les artistes qui m’ont beaucoup touché au cours de ces dernières années, j’ai trouvé intéressant de voir une artiste confirmée et fragile sur scène comme Patricia Kaas, et j’ai beaucoup aimé la présence de Mélanie René, une Romande dans le concours, alors que nous n’en avions pas eu depuis longtemps. Je l’ai trouvée admirable. Et puis cette année, rencontre fortuite, rapide, avec le candidat portugais, qui est juste incroyable. En plus, nous l’avons rencontré dans la rue, nous avons échangé en français, il connaît la Suisse… ce sont ces petits moments d’échange avec les artistes où on leur dit que l’on aime bien ce qu’ils font et… les choses se font. 

Martine Bernier

« La Saga Eurovision », Jean-Marc Richard, Mary Clapasson et Nicolas Tanner. Editions Favre.

 

 

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